Scénariste et fondateur de Cobra Soft, Bertrand Brocard, est connu pour ses nombreuses réalisations micro-ludiques dans des domaines divers : éducatifs, bureautiques, loisirs et sur divers plateformes : Oric 1 et Atmos, Thomson, Commodore, Amstrad, Atari puis PC et plus récemment sur internet.
C'est en 1979 que débute sa passion pour l'informatique, une époque que l'on appelle la préhistoire informatique puisque la France était très en retard dans ce domaine.
En 1983, partant de ce constat d'absence des éditeurs et ne trouvant aucun moyen de faire distribuer ses propres programmes, il créa ARG informatique du nom de son imprimerie « Atelier de Réalisations Graphiques ».
Deux années plus tard et une rencontre providentielle avec Gilles Bertin, programmeur, ils s'associent pour fonder « Cobra Soft ». Des logiciels divers allant du simulateur de flipper « cobra pinball » ou naval « HMS Cobra », au guide des vins « Oenol'Oric » (bien avant celui de Hachette) et de multiples éducatifs puis la révélation avec le premier « Meurtre à grande vitesse » alliant des enquêtes fictives à des lieux réels avec de véritables indices.
Le début d'une grande saga puisque suivra « Meurtre sur l'Atlantique », l'illustre « Meurtres en série », « Meurtres à Venise » et enfin « Meurtres dans l'espace ». Des jeux innovants maintes fois primés par la presse spécialisée et qui ont marqué les esprits de nombreux joueurs.
Entre-temps, la société est rachetée par « Infogrames », Bertrand Brocard en profite donc pour monter son propre studio « HITECH production » qui créera le non moins célèbre « Full Metal Planet ». Après la fermeture du studio, Brocard devient en 1992 responsable du "Studio B" d'Infogrames. Il créera la branche multimédia et produira de nombreux CD-i distribués par Philips dont le fameux International Tennis Open puis se spécialisera dans les ludo-éducatifs (Virtual-Books, Eurêka, Atlas de l'Europe, Astérix, Schtroumpfs).
En 1996, il créera un portail internet pour les enfants et ado de 3 à 17 ans « Kazibao » puis se lancera dans un projet de cité des jeux vidéo : le « Game village ». On y retrouve quelques illustres membres dont Bruno Bonnell (fondateur d' Infogrames oups!!! maintenant Atari), Jean michel Blottière (fondateur et rédacteur de Tilt magazine, microkids) ; Un complexe qui se voulait à la fois musée, espace de détente et lieu commercial. Enfin en 2002 il est l'initiateur et le gérant de « Daoditu » société qui réunit différentes compétences de métiers en matière d'Internet, de communication interactive et événementielle.
Depuis 2016, Bertrand Broccard préside l'association CNJV (Conservatoire National du Jeu Vidéo) basé à Chalon-sur-Saône qui a pour but de préserver et archiver les productions du secteur du jeu vidéo.
Waouh ! Quelle question ! Il va falloir simplifier... Cela a été un privilège de vivre cette aventure quasiment depuis le début. Mais celle-ci a été chaotique, pleine de rebondissements, de changements technologiques permanents, de création de nouveaux marchés...
Chacune de ses étapes a été pour moi l'occasion de créer une nouvelle société... qui a été chaque fois un tournant marquant : ARG Informatique pour le démarrage, Cobrasoft et ses "tilts d'or"', Hitech-productions pour la création, IWP (filiale Infogrames) pour le multimédia, puis, sur Internet, Kazibao, une grande aventure humaine avec les dizaines de milliers de jeunes qui fréquentaient le site (250 000 inscrits une sacrée colo !) puis l'aventure financière avec l'introduction en Bourse... et enfin Daoditu ! Mais en y repensant c'est quand même mon travail d'auteur que je préfère !
Enfin, ce qui me paraît le plus positif c'est d'avoir su concilier travail, vie de famille et d'avoir pu faire tout cela en gardant le temps de vivre et en voyant grandir mes enfants !
C'est une histoire incroyable ! En effet à cette époque la société était déjà installée à Chalon et un jour j'ai eu la visite d'une personne qui souhaitait utiliser nos compétences informatiques.
C'était un détective privé qui avait eu l'occasion de mener, inopinément, une enquête dans l'Ile de Sercq alors qu'il était en train de se rendre à Guernesey. Il avait accepté de tenter de résoudre une affaire de meurtres mais à son grand désappointement, la journée qu'il avait passé sur l'île ne lui avait pas suffit et il était assez vexé de cet échec.
Mais il s'intéressait à l'informatique et s'était dit qu'avec les éléments dont il disposait (témoignages, notes, photos, etc.) il avait sans doute la réponse sous les yeux sans pouvoir pour autant trouver le coupable.
Et il souhaitait que nous réalisions une espèce de système expert dans lequel on injecterait le contenu de ses carnets et un système de déplacement qui permettrait de vérifier les alibis des uns et des autres en simulant les déplacements sur la carte de l'île en tenant compte des différents mode de transport : à pied, en vélo voire en tracteur !
Bref de refaire après coup ce qu'il n'avait pas eu le temps de faire sur place.
Nous avons réalisé cet outil mais aussi fou que cela paraisse le client n'est jamais revenu en prendre livraison nous n'avons pas réussi à reprendre contact ! On a laissé passer un certain temps sans s'inquiéter puis il a fallu se rendre à l'évidence... et plutôt que de laisser ce travail dans un carton nous avons décidé de le rentabiliser en le publiant sous forme de jeu. Je suis allé à Sercq moi aussi, et je suis tombé sous le charme ! Bien sûr j'ai inventé certains éléments et complété l'histoire à ma façon car il nous manquait évidemment des morceaux dans le puzzle. On voit d'ailleurs que le jeu fonctionne très différemment de "Meurtre à grande vitesse" ou "Meurtres sur l'Atlantique".
Je suis retourné plusieurs fois à Sercq. La fabrication des indices et de la boite a été une saga extraordinaire avec plein de péripéties. Le jeu a été un succès incroyable !
Cela dit, après "Meurtres à Venise" on a envisagé une refonte graphique et fait des tests visibles peut être sur www.cobrasoft.net. Finalement ces tests ont servis pour "Meurtres dans l'espace" et on reconnaît dans les personnages plusieurs personnes de la société.
Ces machines n'étaient pas très vendues en France, et Infogrames n'avait sans doute pas jugé que le jeu en valait la chandelle...
De mémoire, c'est plutôt pendant l'adaptation des ripoux que j'ai travaillé sur Meurtres à Venise.
Après le TGV, la croisière transatlantique, l'île de Sercq, je cherchais un autre lieu mythique. Et Venise s'est imposé naturellement peut être parce que j'y étais allé faire un petit séjour... et cela m'a donné l'occasion d'y revenir plusieurs fois pour la production du jeu et son lancement !
La menace terroriste qui est au coeur de l'affaire, l'ampleur du chantage, le désamorçage de la bombe... cela raisonne aujourd'hui avec une curieuse tonalité !
L'originalité de cet opus c'est que le "plan" a cédé la place à une représentation graphique puisque le jeu se déroulait le long du grand canal représenté en "déroulé". Pour solutionner le jeu, il fallait réaliser un diagramme de déplacement des personnages - comme ceux qui servaient avant à contrôler les déplacements des trains - pour identifier où ils étaient et à quel moment et découvrir ainsi les possibilités de rencontres, les mensonges de personnages, etc. J'ai toujours l'original de ce document qui était accroché au mur pendant toute la durée de la production.
Pour répondre en commençant par le dernier point concernant ma liberté par rapport à Infogrames, celle-ci a toujours été totale en matière de conception et j'avais souvent la double casquette d'auteur et de producteur ce qui est très confortable.
Pour "Meurtres dans l'espace" le changement était minime puisque nous avions remplacé le déplacement d'un curseur sur un plan par celui du personnage dans le décor.
Cela correspondait à une évolution des possibilités graphiques mais le fonctionnement général du jeu restait identique dans le principe... avec les "mini jeux " intégrés dans l'intrigue principale et la présence d'indices.
La fabrication était d'ailleurs un cauchemar pour le responsable d'Infogrames qui n'avait pas l'habitude de ces boites remplies à ras-bord (et même plus... elle restait un peu bombée tant elle était pleine) à côté d'autres packagings qui contenaient beaucoup de vide !
On pourrait raconter plein de choses sur la conception... les souvenirs reviennent en en parlant ! Etant jeune j'avais été fasciné par les premiers vols spatiaux, les programmes Mercury, Gemini puis Apollo et je mettais un point d'honneur à être très proche de la réalité au niveau scientifique. Comme toujours, on a travaillé avec une documentation très importante. Pour aller plus loin, avec Roland Morla, le programmeur et Marie-Anne Alison, qui m'assistait à la réalisation, nous sommes allés faire un séjour de plusieurs jours avec les instructeurs du "Space camp" de l'astronaute Patrick Baudry. Ce centre proposait à des jeunes des stages d'initiation aux techniques spatiales et disposait, entre autres, d'une maquette de navette grandeur nature... et d'une vraie centrifugeuse qui nous a permis d'encaisser quelques accélérations mémorables.
Je ne sais pas si "film comique" est le meilleur adjectif pour définir Les ripoux. En tout cas c'était effectivement drôle mais surtout nouveau dans le paysage cinématographique par la manière de montrer la police "de l'intérieur" avec pour le moins une image peu connue.
Il faut dire que le scénariste qui a travaillé avec Claude Zidi, Simon Mickaël, était lui-même un ancien flic et qu'il connaissait bien le sujet. Il se trouvait que nous nous connaissions et par son biais j'ai pu facilement contacter Claude Zidi dont les enfants, par ailleurs, connaissaient bien les logiciels Cobra Soft... Cela a facilité la signature d'un contrat dans de très bonnes conditions.
Pour le soft, nous avons entièrement "reconstitué" le plan du XVIII° arrondissement qui sert de terrain de jeu avec un équilibre subtil dans les missions officielles qu'il faut mener pour être bien noté par ses chefs et les petits trafics à organiser pour gagner de l'argent... Rien de bien moral ;-)
A la suite de cela, j'ai même créé une adaptation du logiciel en jeu de société qui a été distribuée par l'un des grands éditeurs français de l'époque.
Evidemment puisque c'est à partir de ce jeu que nous avons créé la version informatique
Une adaptation dont je suis très fier car elle était très réussie, fidèle au jeu original mais apportant une dimension supplémentaire ! Elle est encore recherchée par les amateurs.
On avait même créé à cette occasion une "notice" en vidéo et construit pour le tournage des décors et même une "pondeuse météo" (l'un des véhicules du jeu) entièrement robotisée et pilotée par 8 moteurs.
Ce que peu de personnes savent c'est qu'une version réseau fonctionnant en Appletalk avait été créée en 1990. On a même imaginé un jeu de rôle massivement multijoueurs "Full métal galaxy" mais la mésentente entre les ayants-droits du jeu original a bloqué ce projet. Full métal planet, on pourrait en parler pendant des heures...
Nous n'avons jamais travaillé en prenant modèle ni même en regardant les autres produits mais bien sûr je connaissais ces deux titres. J'ai dû jouer à Maupiti Island qui graphiquement était excellent !
Mais en réalité mon jeu préféré, c'était d'en créer !
Avec Lankhor on n'avait pas eu l'occasion de se rencontrer. Par contre je connaissais bien Laurant Weill de Loriciels avec qui on a collaboré un moment du temps de Hitech Productions. Quant à Ere Informatique, ils avaient été rachetés par Infogrames en même temps que nous et donc on se connaissait bien avec Emmanuel viau et Philippe Ulrich puisqu'on faisait partie du même groupe et qu'on partageait certaines appréciations sur le fonctionnement des labels... (A propos de Ere, je possède des versions du mythique "Captain Blood" ! S'il y a des amateurs pour échanger...)
Je la suis toujours d'un oeil... la concentration continue ! Etait-ce évitable ??? A mon avis ce qui compte c'est de garder des studios créatifs indépendants car ce n'est pas en interne dans les grands groupes que la créativité peut s'exprimer !
En 1994 on développait un gros titre pour 150 000 €uros et ça nous paraissait énorme ! Quelques années plus tard c'était à peine le coût de la "pré-prod"...
Ce qu'il y a de plus faramineux encore c'est le budget marketing de ces productions !
Pour ce qui concerne le rôle de l'état, cela fait des années qu'un projet de soutien est en cours... Il semblerait qu'il soit enfin bouclé. Maintenant dans un marché complètement mondialisé et concentré... ça ne suffira peut être pas !
Le temps a passé ! Nos enfants ont grandis... et les routes se sont séparées mais elles se recroisent encore de temps en temps !
Chut !
Des projets... pleins ! Je dirais même trop car il faut savoir se concentrer sur un objectif.
Mais parmi ceux-ci cela fait plusieurs années que je souhaite mettre sur pied une exposition itinérante sur le jeu vidéo et le numérique. Nous sommes prêts en matière de contenu et de logistique. Reste à trouver les financements pour la production.
C'est un projet auquel je souhaite d'ailleurs associer des passionnés car ils connaissent bien leurs sujets de prédilection !
Personnellement j'ai toujours donné mon accord à chaque fois qu'on m'a sollicité pour donner des autorisations dans le cadre de l'abandonware. Il manque certainement un grand projet de "mémorisation". Un chantier a été ouvert par la Bibliothèque nationale, je ne sais pas trop où cela en est. C'était aussi un des volets du projet "Game village".
Je ne renonce pas à faire avancer les choses de ce côté... car je suis un de ceux qui a conservé le plus d'archives de production.
On pourrait parler pendant des heures. Il ne s'agit pas de tomber dans la nostalgie... mais c'et toujours agréable de se remémorer de bons souvenirs qui continuent d'ailleurs à s'accumuler avec les nouvelles expériences - et surtout de les partager avec des passionnés.
Je dois avouer que recevoir encore régulièrement des mails à propos de produits publiés il y a près de 20 ans me réjouit ! Des correspondants me demandent de les aider à trouver la réponse à une énigme que j'avais imaginé il y a bien longtemps et dont je ne me souviens plus... alors je me retrouve dans la position du joueur ! Tel est pris qui croyait prendre...