Référence de la S.-F. des années 80, symbole du mouvement cyberpunk, "Blade Runner" est un thriller oppressant qui dépeint un univers futuriste sombre, dystopique, décadent amenant à s'interroger sur la place de l'être humain dans la société technologique de demain. Lorsque Westwood Studios se lance dans cette adaptation 15 ans après la sortie du film, le pari est risqué. Les jeux d'aventure n'ont plus trop la côte, le film a ses fans mais n'avait pas connu le succès espéré lors de sa sortie, sans compter la pression d'adapter une telle licence au risque de décevoir les fans. Construire ce monde, en particulier avec la technologie disponible au milieu des années 90, était un immense défi que seule la société ayant produit "Dune II", "Command & Conquer", la saga "Kyrandia" pouvait relever. Une histoire parallèle à celle de Deckard, les décors du film, une musique fidèle, des personnages qui changent de conditions humains/replicants à chaque partie... et la possibilité d'avoir plusieurs fins possibles en fonction de vos choix... rêve ou réalité ?
Los Angeles, 2019. L'humanité est partie coloniser l'espace. Ces colons sont assistés dans leurs tâches par des robots à l'apparence humaine, les Replicants. Les nouveaus modèle les Nexus 6 de Tyrell corp sont parfaits ; supérieurs physiquement et, pour certains, intellectuellement aux humains ; voués à l'exploration spatiale, aux tâches dangereuses ou impossibles. Génétiquement augmentés, mais dépourvu d'émotions, leur durée de vie est limitée, par prudence, à quatre ans. Certains s'affranchissent de leurs chaînes et s'enfuient pour retourner vers la Terre, c'est là que vous intervenez. Vous êtes Ray McCoy, agent de police de l'unité "Blade runner" chargé de traquer et de "retirer" ces replicants. Après un massacre dans une animalerie, vous êtes appelé pour mener l'enquête...
En abordant différents thèmes majeurs dans ses romans comme l'identité, le rêve, la réalité, ou les réalités, la paranoia, le temps, la croyance ... Philip K. Dick devient l'un des grands maîtres de la science-fiction du 20ème siècle. En l'espace de trente ans (1952-1982), l'écrivain produit plus de quarante romans et presque cent vingt nouvelles. Parmi ses oeuvres ayant donnés des films on peut citer notamment "Total Recall" (1990 et son remake de 2012), "Minority Report" (2002) et beaucoup de séries.
Dans sa nouvelle "Do Androids Dream of Electric Sheep?" publié en 1968 on y suit Rick Deckard, un chasseur de primes pour le département de police de San Francisco dans un futur post-apocalyptique, chargé de «retirer» six androïdes d'un nouveau modèle Nexus-6, jugé plus intelligent et qui se sont récemment échappés de Mars pour venir illégalement sur Terre.
"Qu'est-ce que la réalité ? Qu'est-ce qui nous différencie des robots ? Comment sont guidés nos choix ? ". Sous ces questions métaphysiques qui n'ont pas finis de nous faire réfléchir, Dick comme à son habitude soulève une intense réflexion sur nous même, le monde qui nous entoure et son devenir.
L'histoire du robot ignorant sa condition réelle, ou se persuadant qu'il est un être humain renvoie à une question existentielle que bien des auteurs de la mouvance S.-F. ont cherché à explorer dans les années soixante et soixante-dix. Plusieurs films et séries avaient déjà abordées ce thème fort, avec plus ou moins de moyens. Dans la superbe série des années 50-60 "La Quatrième Dimension" (The Twilight Zone), qui a bordé d'autres nombreux thèmes chers à la S.-F. on trouve celui de l'identité dans saison 2 épisode 8 où une jeune femme évolue dans un monde où les robots font partie intégrante de son quotidien, avant de découvrir lors du twist final qu'elle est elle-même un robot.
Rien, vraiment rien n'a été une sinécure dans l'élaboration de ce film, de l'acquisition des droits du roman de Philip K. Dick, son financement, sa pré-production, son tournage, ses multiples charcutages (on estime qu'il y a entre sept à dix versions différentes) jusqu'à sa sortie en salle, son semi-échec et sa renaissance.
L'atmosphère du film s'en ressent forcément, mélancolique, "Blade Runner" est un hommage aux films noirs de la grande époque de ces polars. Rick Deckard est le Humphrey Bogart du film et Rachel en est la Lauren Bacall, femme fatale, celle par qui tout bascule. On ne rit plus. On tue, on peine, on doute.
Si le film de Ridley Scott a marqué toute une génération et même au délà c'est qu'il est pour une fois à la hauteur du roman de science-fiction dont il s'inspire "Do Androids Dream of Electric Sheep ?". Il faut dire que la science-fiction a souffert pendant longtemps d'être cataloguée films à petits budgets avec des decors en cartons pâtes souvent assez grossier. Quand Ridley récupére le script de "Dangerous Days", plusieurs scénaristes et réalisateurs sont passés avant lui et ont tous jeté l'éponge. Bien souvent le passage d'un roman au grand écran reste un exercice bien plus complexe qu'il n'y parait. Le premier script décrit un petit film, presque intimiste, qui comporte peu d'extérieur, privilégiant la psychologie à tout autre forme scénaristique et pratiquement pas d'effet spéciaux. Il a été évalué à 9 millions de dollars... il en coutera presque trois fois plus.
Le réalisateur d'Alien s'est récemment désengagé de l'adaptation du roman de Frank Herbert "Dune" produit par l'italien Dino De Laurentiis qui n'a cessé d'être retardé - et sortira finalement en 1984 avec David Lynch au manette. En fait la réalité est plus triste, Ridley Scott est frappé par une tragédie, le décès de son frère, il a besoin de se replonger dans le travail pour faire son deuil. Le temps qu'il a passé sur la préproduction de "Dune" lui a donné quelques idées de concepts, des vaisseaux et l'envie de faire un grand film de S.-F. La première étape sera de réécrire le scénario, insatisfait, il en faudra au moins une dizaine avec au passage un changement de scénariste Hampton Fancher laissant la place à David Peoples, et un changement de titre. Le film s'appelera "Blade Runner", titre plus accrocheur qui plait à Scott et tiré d'un roman d'un autre auteur culte cette fois de la beat génération William Burroughs.
L'intrigue ne change pas profondément, on suit toujours la chasse à l'homme de l'ex-policier Rick Deckard chargé de traquer et de retirer des Replicants dans un univers futuriste dystopique, post-apocalyptique même si l'obsession de Deckard pour s'acheter une vraie chèvre disparait sur grand écran. L'action prend place à Los Angeles en lieu et place à San Franciso, le spectacteur n'aurait pas compris qu'on lui dise que l'action se déroule à San Francisco et y voir le Bradbury building. Le film regroupe finalement tous les ingrédients du films noirs des années 50, l'atmosphère pesante, oppressante, le détective noyant sa détresse dans l'alcool, la femme fatale, le danger omni-présent, les crimes... la fatalité.
Mais Scott voit plus loin, plus grand, repense la direction artistique du film en s'entourrant de référence de la science-fiction comme l'illustrateur Syd Mead, et le pionnier des effets spéciaux Douglas Trumbull. Le petit film minimaliste prend maintenant forme dans un décor d'une mégalopole tentaculaire, mélange de Chinatown et de new York, un personnage à part entière, aux gratte-ciels immenses, plongée dans une nuit éternelle et sous une pluie qui ne s'arrête jamais, la lumière naturelle ne semble jamais réussir à percer ce ciel noir, seuls les écrans publicitaires et les néons des magasins éclairent cette ville oppressante. Le film est visuel avant tout, symbole du cyberpunk par le pessimisme et la violence qu'il renvoi par rapport aux space opera de type Star Wars, ici pas de princesse, pas de héros, juste des humains avec leurs faiblesses, leurs interrogations et leurs détresses. On parle même de "Tech noir".
J'ai voulu faire un film noir. Je voyais Deckard comme un Humphrey Bogart du futur. L'ensemble est influencé d'une manière ou d'une autre par l'univers de la BD. Nous avons pris le parti de rendre le mot "androide" tabou. Ce terme implique tout un tas de préconceptions sur le type de film dont il pourrait s'agir. On l'a trop entendu et il a été utilisé trop fréquemment à mauvais escient. Nous avons donc imaginé notre propre mot. Un Réplicant est par essence un être humain complet, entierement fait de chair, très avancé et d'un très haut niveau de perfectionnement. Là réside toute la dichotomie de l'histoire.
- Ridley Scott, Réalisateur de Blade Runner
L'entreprise n'a rien de serein. Le tournage est à la hauteur de la préproduction, chaotique, la pression est énorme et des tensions apparaissent dès le début du tournage. L'atmosphère durant tout le tournage est pesante pour ne pas dire détestable. Il faut dire que les conditions de tournages de nuit, sous la pluie avec l'air saturée en fumée sont particuliérement difficiles. Pour la plupart de l'équipe et même des acteurs dont Harrison Ford cela restera comme la pire expérience de leur carrière. Scott veut avoir un contrôle sur chaque étape du processus de conception de ses films - scénario, montage, musique, effets spéciaux... Perfectionniste ? certains diront maniaque, il retourne les deux premières semaines du film les jugeant trop sombres, prendre cinq heures pour un plan, faire quinze ou vingt prises avant de trouver celle qui convient. Les relations entre Scott et les équipes techniques sont tendus continuellement. Sur le plateau Scott et Harrisson Ford (Deckard) ne se parlent même plus, Harrisson ne s'entend ni avec Sean Young (Rachel) ni avec Rutger Hauer (Roy), puis ca sera des tensions avec les producteurs/investisseurs furieux de voir le budget du film explosé.
Pour obtenir le degré de détail que vous voulez, il vous faut préparer à endosser le rôle du type très impopulaire.
- Ridley Scott, Réalisateur de Blade Runner
Entre Scott et l'auteur Philip K. Dick ce n'est pas non plus au beau fixe, mais cela se réglera lorsque l'écrivain sera invité à voir les vingt premières minutes du film, Dick émettra alors son opinion sur les réplicants.
Pour moi, les réplicants sont déplorables, froids et cruels. Il n'ont aucune empathie, c'est ce qui permet au test de Voight-Kampff de les repérer. Ils ne se préoccupent pas du tout des autres créatures. Ils sont véritablement moins qu'humains. Scott, lui, les voyait comme des surhommes. Pour lui, ils sont plus intelligents, plus forts et ont de meilleurs réflexes que les humains. C'était éloigné de mon point de vue original puisque le thème de mon livre était que Deckard se déshumanise à mesure qu'il pourchasse les androides. Lui trouvait que c'était une idée trop intellectuelle et qu'il n'avait aucune envie de faire un film ésotérique.
- Philip K. Dick, auteur S.-F.
L'auteur, enclin à des crises de paranoia, meurt quelques mois plus tard, en mars 1982, alors que la sortie de Blade Runner est imminente, il ne verra donc jamais le film fini.
Le film de Scott est énorme et devient un gouffre financier, Scott en veut toujours plus, remplissant son film d'une multitude de plans magnifiques, très picturaux et qui coutent chers, très chers. Il finit par épuiser les investisseurs, puis les investisseurs secondaires notamment The Ladd Company, dirigée par le magnat des médias Sir Run Run Shaw, et Bud Yorkin et Jerry Perenchio de Tandem Productions.
Malheureusement ces dépassements de budgets avaient été notifié contractuellement, permettant en dernier recours aux sociétés productrices de prendre le contrôle du film. Les projections tests sont un désastres, le public n'adhére pas au film, il ne le comprend tout simplement pas. Le film est remonté plusieurs fois avec une voix off. La fin plus ambiguë dite "européenne" se terminant dans l'ascenseur est remplacée par un happy end totalement décalé de l'atmosphère sombre du reste du film, de jour Rachel et Deckard s'enfuit sur une route de montagne dont certains plans sont issus de chutes non utilisées du film Shining de Stanley Kubrick.
L'anarchisme total sur le film aboutit à différentes versions : Early cut (1981), Workprint (1982), Sneak, US Theatrical, International... Le film sort en 1982 et sera un semi-échec. Le public est divisé, il ne rapporte que 14 millions de dollars alors qu'il en a couté le double. Les raisons du rejet sont diverses, trop de film en liste ("E.T", "The Thing","Star Trek II"....), une ambiance peut être trop sombre, trop déprimante, une histoire trop complexe, en tout cas tel "2001 l'odyssée de l'espace", plusieurs visionnages sont nécessaires pour mieux apprécier cette oeuvre unique qu'est "Blade Runner" tant les questions soulevées sont complexes et en amenent souvent d'autres.
Les critiques ne sont pas tendres non plus, on se souviendra de l'article virulant et excessif de Philippe Manoeuvre dans la revue française "Metal Hurlant" pourtant proche de cet univers sf à travers les BD de Moebius et Philippe Druillet.
La Warner avait pourtant invité l'équipe à une projection test en espérant que ces derniers fassent un hors série spécial pour la sortie du film comme ils avaient pu le faire pour Conan le barbare ou Alien.
Mais Manoeuvre prend en grippe le film et son réalisateur. Rien ne le fera changer d'avis, il n'en démord pas. Il faut dire que le critique n'a pas digéré certains plans de "Blade Runner" qui présentent de troublantes similitudes avec une BD de Moebius et Dan O'Bannon, parue en 1976 dans Métal hurlant, "The Long Tomorrow" qui est également une sorte d'ébauche de L'Incal.
Moebius, qui était la crème des dessinateurs, et avait travaillé sur Alien et Tron, et s'en fichait totalement. Cette critique de Manoeuvre a fait beaucoup de mal à Métal hurlant et nous a coupé du monde de cinéma. De mon côté, cela m'a décidé à partir et à fonder la revue Starfix, qui est une sorte le rejeton de Métal hurlant.
- Doug Headline, scénariste dans Métal Hurlant
Manoeuvre était excessif, mais Métal Hurlant était excessif.
- Enki Bilal, auteur dans Metal Hurlant
Scott ne s'est jamais caché de cette influence, il s'est exprimé plusieurs fois à ce sujet en disant son admiration pour Moebius et Dan O'Bannon.
Mon concept de Blade Runner était lié à une BD que j'avais lue il y a longtemps et qui s'appelait The Long Tomorrow écrite par Dan O'Bannon (scénariste d'Alien) et dessiné par Moebius. Le travail d'O'Bannon là-dessus était fantastique car il avait créé un futur crédible. Si le futur est tangible, que vous pouvez le voir, le toucher, cela vous rend la tâche plus aisée car vous partez avec la notion que ce futur là est au coin de la rue, qu'il est possible. Et vous avez ce sentiment de surpopulation urbaine. Mais au fil de l'eau, le film est devenu plus sérieux que je ne l'ai imaginé, allant à l'opposé de l'atmosphère comic book que je souhaitais au départ.
Ridley Scott, Réalisateur de Blade Runner
Le film regagnera petit à petit le coeur du public grâce aux sortie VHS et ses nombreuses rediffusions notamment sur la chaine défunte de Berlusconi "La Cinq" ou sur le cable permettant de mieux apprécier le film.
Sorti le 14 novembre 1997, Blade Runner fut un véritable petit phénomène à sa sortie sur PC. Ce point & click emblématique offre un gameplay plutôt orienté enquête que réflexion et combat. Il empreinte fidelement l'univers du film, ses décors, ses musiques. Le premier contact avec le jeu est cette superbe introduction de plusieurs minutes en 3D précalculée. A l'époque c'était bluffant, on avait l'impression de voir une extension du film. Un bon point pour ce début de l'aventure.
L'histoire se déroule parallèlement au premier film mais avec son propre scénario. Le jeu introduit un nouveau personnage Ray McCoy, et comme Deckard dans le film, c'est un « Blade Runner », sa mission est donc de traquer et retirer de la circulation des Réplicants.
Développé par Westwood Studios et publié par Virgin Interactive, le jeu n'est pas une adaptation directe du film culte avec Harrison Ford mais un scénario original situé parallèlement à ce dernier. L'histoire se déroule toujours dans le Los Angeles de 2019, vous êtes cette fois Ray McCoy, un détective de l'unité Blade Runner est chargé de traquer un groupe de Réplicants. Le jeu se faisait de reproduire le plus fidélement l'ambiance et l'atmosphère du film, des lieux, des musiques emblématiques du film mais trace sa propre voie le reste du temps.
Paradoxalement l'idée de faire de "Blade Runner" un jeu vidéo est né des investisseurs du film Bud Yorkin et Jerry Perenchio de Tandem Productions, c'est à dire ceux qui ont sabordé le film en le remontant, l'éloignant de la vision originale du réalisateur Ridley Scott. Mais depuis l'échec lors de sa sortie en salle, les choses ont bien changé. Petit à petit le film a regagné un capital sympathie auprès du public, ses rediffusions, la sortie en 1992 du superbe laserdisc de la version director cut, qui fut N°1 des ventes de Criterion pendant des années, ainsi que le véritable score de Vangelis qui sorti enfin, certe partiellement, en 1994 (celui sortie en 1982 n'était qu'une réinterpretation par le New American Orchestra, desavoué par Vangelis et Scott) n'ont fait que renforcé l'aura du film dans le monde de la SF et du cyberpunk. Au debut des années 90, un sondage de Starfix placera même Blade Runner dans le top des meilleurs films de SF de tout les temps. Suite à ses dépassement de budget Scott a dû cédé pas mal de droits relatifs au film dont le Blade Runner Partnership, une société créée par Bud Yorkin et Jerry Perenchio de Tandem Productions a bénéficié. A cette époque la société soumet donc le projet d'un jeu à Electronic Arts, Sierra et même Activision, chacune refusera pour diverses raisons notamment à cause d'éventuels problèmes de droits liés au film avant que Virgin Interactive n'accepte de reprendre le projet.
C'était la confusion la plus totale dans le sens où Ridley a dû signer de nombreux accords avec différentes personnes pour des droits partiels. Et encore pire, la production du film s'était achevée sur des desaccords, beaucoup de documents et de contrats étaient perdus. Personne n'avait la moindre idée de qui pouvait débarquer et se revendiquer détenteur légal du film, ou même d'une partie de celui-ci. Nous avions l'interdiction d'utiliser la moindre séquence vidéo et le moindre son parce qu'il était impossible de savoir à qui nous pouvions bafouer les droits.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Pourtant, c'est bien cette situation compliquée au niveau des droits qui a permis indirectement à Westwood de se différencier des autres avec une approche consistant à réinventer et non à réutiliser. C'est sous la supervision de Louis Castle, co-fondateur du légendaire studio de développement Westwood Studios et aujourd'hui directeur d'Amazon Game Studios Seattle que le projet démarre. La société était déjà connu pour ses jeux de stratégie ("Dune II", "Command & Conquer"), de rôle ("Eye of the Beholder", "Lands of Lore") et même un jeu de plate-forme ("Le Roi lion"), mais aussi d'aventure avec la trilogie Kyrandia.
Très vite le Blade Runner Partnership demande à l'équipe de leur présenter un pitch de leur vision du jeu, il s'agissait de la dernière ligne droite des négociations, il fallait livrer son argumentaire en une semaine ! L'équipe travailla jour et nuit pour présenter une cinématique impressionnante avec un spinner qui décolle en haute résolution. L'idée innovante pensé dès le départ et qui sera aussi mise en avant lors de la promotion du jeu, sera que suivant la partie que vous jouez, le joueur incarne un personnage dont il ne saura pas s'il est un réplicant ou non, et cela sera pareil avec les personnages rencontrés. Le déroulement de l'enquête est influencé directement par vos décisions et vos actions, ce qui rend l'aventure totalement adaptative avec un côté imprévu assez novateur pour ce type de jeu.
Nous avons montré quelques minutes d'une cinématique où le Spinner vole et atterrit. Nous avons travaillé tout le week-end et j'y suis allé avec notre pitch. J'ai décrit le concept : vous serez un personnage qui ne saura pas s'il est réplicant ou humain, et le jeu est centré sur le fait que vous n'êtes jamais tout à fait sûr. Au fur et à mesure que vous jouez, vous devriez toujours avoir l'impression de réussir, quel que soit l'itinéraire que vous choisissez, afin que cela ne vous oblige jamais à recommencer. à la fin, vous devriez être en mesure de terminer avec des attentes très différentes de ce que vous êtes et de qui vous êtes à côté de quelqu'un d'autre qui a joué au jeu. C'est notre histoire - maintenant, montrons à quoi cela ressemble. Et nous avons visionné la vidéo, qui utilisait une technologie de compression que nous avions créée pour les jeux Command & Conquer qui offraient des graphismes en plein écran, haute résolution [640 × 480 pixels à l'époque], en couleurs. Bud a déclaré: «J'allais vous demander ce que vous utiliseriez du film; maintenant, je dois vous demander pourquoi vous vous embêtez.» Chaque scène du jeu, il a été confirmé, serait générée à partir de zéro en 3D.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Finalement ce n'est que quelques mois plus tard, lorsque le jeu a été annoncé, que Westwood apprend que d'autres studios concurrrents avaient été contactés pour le créer. Certains de ces studios pensaient même qu'ils étaient toujours dans la course.
Un groupe de personnes a appelé et a dit: "Je travaillais là-dessus!" Je ne savais même pas que nous étions en compétition. Lors de ma présentation sur ce qui conviendrait et ce qui ne serait pas approprié, j'avais beaucoup expliqué à quel point le simple fait de tirer sur des réplicants serait très décevant pour ceux qui aiment la philosophie de Blade Runner. Je pense que c'est ce qui les a convaincus, ainsi que la qualité des visuels qu'on avait produit dans un délai aussi court.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Pour que le jeu justifie tout le temps et l'argent qu'il demande, le titre doit non seulement bien se vendre mais il doit être aussi l'un des jeux d'aventure les plus vendus de tous les temps.
Unique par l'univers qu'il empreinte au film, passionnante dans son histoire parallèle au film, le jeu réussit l'exploit d'innover en construisant un monde crédible, tentaculaire, fonctionnant en temps réel alors que le joueur recueille des indices sur un meurtre d'animaux. Les personnages sont variés un trafiquant d'animaux Runciter, une adolescente instable Lucy... et potentielle réplicante, une équipière à la gachette facile, la "Blade Runner" Crystal Steele et un nouveau groupe de réplicants en fuite, certains cherchant à se venger, d'autres cherchant simplement à survivre.
L'enquête commence dans l'animalerie Runciter où un massacre d'animaux a eut lieu. Très vite les indices collectés vous dirigent vers deux suspects, l'un de grande taille et boiteux, Zuben et l'autre avec une démarche plus affirmé mais un peu psychotique, Clovis. Les personnages sont plus ou moins travaillés mais certains sont malheureusement vite expédiés (notamment Zuben) pour se recentrer sur le véritable cerveau du groupe, Clovis, le pendant de Roy Batty. L'écriture, les personnages, la musique, et l'utilisation des outils emblématiques du "Blade runner" donnent l'impression d'être un blade runner sans avoir ce côté ennuyeux de rejouer à jeu dont on connait déjà la fin.
Le scénario a été écrit par le fils de Bud Yorkin, David et le concepteur principal David Leary, passant de 80 à 500 pages. Dans les premières versions, toutes les identités des réplicants étaient attribuées au hasard, mais cela c'est vite avéré assez déroutant lors des phases de tests aboutissant systématiquement au retrait d'un humain par erreur gâchant l'enquête à la première occasion. La solution était de faire en sorte que le premier et le dernier suspect - le chef des renégats Zuben et le psychotique Clovis - soient toujours des réplicants pour fixer la trame du jeu, mais cela n'était toujours pas suffisant car le jeu compté pas mois de 2500 possibilités !
L'idée de Louis Castle est de créer un «simulateur d'histoire», un script que même les scénaristes ne peuvent pas prévoir. Une ville vivante et respirante qui s'adapte à ce que vous faites.
"Blade runner" est au premier abord un point & click classique, développant un gameplay très orienté enquête plutôt que réflexion et combat. La plupart du temps vous vous déplacez dans différents lieux, interrogez les personnages, scrutez avec la souris le moindre recoin de l'écran pour y recueillir des indices et revenez dans les mêmes lieux afin de voir ce que vous avez oublié pour faire progresser l'enquête. Mais Blade Runner avait d'autres ambitions.
Même si vous êtes un chasseur de réplicants, les coups de feu seront rares et la plupart du temps ils seront tirés dans une salle d'entraînement. Les indices collectés devront être enregistrés dans l'ordinateur central de la police afin qu'il les analyse et vous guide vers de nouvelles pistes. La recherche de preuves, l'analyse d'indices et l'interrogatoires de suspects sont donc des activités au centre de l'aventure.
Durant l'aventure, vous recontrerez une quarantaine de personnages, tous disposant d'une IA et d' un emploi du temps différent à chaque partie.
Si l'équipe est dans l'incapacité d'utiliser des images ou même la bande originale de Vangelis, Westwood peut au moins utiliser des acteurs du film, même si cela exclue pratiquement deux acteurs dès le départ : Rick Deckard (Harrisson Ford) et Roy Batty (Rutger Hauer). Le jeu incluait néanmoins les modélisations de certains acteurs du film ainsi que leurs voix, dont celles de la belle Rachel (Sean Young), le mystérieux équipier Gaff (Edward James Olmos) ainsi qu'Hannibal Chew (James Hong) qui s'occupait des yeux des réplicants dans le film.
Je suppose que Ridley a eu quelques desaccords; nous n'avons pas pu le joindre ni à Harrison Ford. Je ne sais pas si vous connaissez la position de Harrison Ford sur l'industrie du jeu vidéo, mais il pense que les jeux prennent des libertés avec les licences, donc il est fermement contre cela à bien des égards. Il est en desaccord. Donc, je ne sais pas si nous n'avons pas réussi à le joindre ou si nous n'avons tout simplement pas pu surmonter ce biais. Mais nous avons pu travailler pratiquement avec tout le monde ayant participé au film.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Les PNJ réagissent différemment et ont un développement différent en fonction de la façon dont vous interagissez avec eux. L'une des particularités du titre était de redistribuer certains rôles au début de chaque partie, ce qui veut dire que certains personnages pouvaient être des humains ou des Réplicants de façon aléatoire.
L'idée d'origine de Westwood était de mettre le joueur en concurrence avec d'autres blade runners qui tenteraient aussi de résoudre l'enquête de leur côté, quitte à la boucler avant le héros ! Des intelligences artificielles qui se promènent, interrogent des suspects, ramassent des indices - les confisquant ainsi au joueur. Peut-on faire plus Blade Runner que ça ? C'était le projet fou du studio, et Westwood a malheureusement dû revoir ses ambitions à la baisse au cours du développement.
Chacun bénéficie d'un doublage en français plutôt convainquant avec une qualité audio satisfaisante, même supérieure à ce qui se faisait à l'époque. Ray McCoy est doublé par Patrice Baudrier, connu pour être la voix française de Jean-Claude Van Damme... oui JCVD est doublé !
A l'origine le prototype du personnage de McCoy était une série de sprites animés traditionnellement avec un rendu sur huit faces. Il était vraiment détaillé mais ces besoins en mémoire/disques étaient assez élevés; 50 Mo pour le cycle de marche complet, et à cette époque, c'était inenvisageable. Finalement, nous avons développé diverses astuces pour faciliter l'intégration des personnages dans les arrière-plans pré-calculés (je pense qu'il s'agissait de boucles de quatre secondes, rendues à 15 images/s): éclairage, buée, inclinaison pour correspondre à la perspective et arrière-plans de caméra en mouvement pour les transitions. L'un des grands changements techniques avec ce jeu a été la création d'une scène de motion capture à Westwood. Je me souviens que Joe Kucan, notre réalisateur - plus connu comme méchant de Command & Conquer - a fourni la marche pivotante de Crystal Steele, une policière endurcie. Je crois cependant que certains personnages ont été réalisés à partir de motion capture de professionnelles comme les strip-teaseuses.
- James McNeill, programmeur principal de Blade Runner
L'important dans Blade Runner, ce ne sont pas les énigmes quasi absentes, mais les dialogues, la façon dont on interroge les suspects, et notre capacité à deviner leur véritable nature, réassignée à chaque partie. Pour ce faire, McCoy, le héros du jeu, peut compter sur les mêmes outils que Deckard dans le film et quelques autres bien pratiques :
Le KIA (Knowledge Integration Assistant : Assistant d'Intégration de Connaissances) est ordinateur portable qui permet d'avoir un oeil sur tous les indices récoltés (objets, dialogues, images:) lors vos investigations. C'est l'interface qui permet aussi d'avoir accès au menu des sauvegardes et aux paramètres du jeu. Une interface fort bien pensée car elle centralise en un endroit l'ensemble des indices, permettant par exemple de filtrer les réponses de vos interlocuteurs
Ne dis t-on pas que les yeux sont le reflets de l'âme ? c'est d'ailleurs la manière dont Deckard repére les réplicants grâce au test de Voight Kampft, sorte de détecteur de mensonge ophtalmologique censées provoquer une réaction émotionnelle par des questions orientées et permettre de déterminer si une personne est un replicant ou non. L'oeil du début du film nous renvoie à ce fils conducteur tout le long du film. Même si on choisi l'intensité des questions, il est dommage qu'on ne voit pas en face de soi la personne interrogée mais uniquement la machine, sorte de souflet monotone, dommage que cette scéne importante du film n'ait pas été plus réussi.
Le système "Esper", qui permettait d'examiner des photos, les recontruire en 3D et en extraire des données imperceptibles à l'oeil humain. Assez jouissif de se balader sur une photo, la zoomer, la dézommer et réussir à déceler certains indices parfois cachés dans les zones sombres d'une image (la caméra du bar par exemple)
Comme tout bon Blade Runner vous vous déplacez en Spinner dans cette mégalopole tentaculaire. Une carte s'affiche dans le cokpit, et vous cliquez sur la destination souhaitée. La plupart des décors vus dans le film sont parfaitement retranscrit dans le jeu, on sent que les développeurs étaient pointilleux et ne voulaient pas décevoir les fans du momunent de la S.-F.
Graphiquement l'univers du film est parfaitement recréer même si la résolution 640x480 non modifiable est un peu pénalisante et rende le jeu un peu old school
Tout ou presque y est : Le vendeur de Sushi dans le Chinatown, Le poste de Police - où vous attérissez sur le toit comme dans le film - pour y prendre vos instructions auprès de votre supérieur, le lieutenant Guzza, L'appartement de McCoy - réplique parfaite de celui de Deckard - le chien en plus et vue imprenable sur la ville, la pyramide Tyrell où vous y rencontrerez suivant vos choix précédents Rachel et son créateur Eldon Tyrell, le bradbury building où creche J.F. Sebastian avec ses marionnettes... et tant d'autres décors, tous d'un réalisme criant, respectueux du film par leur ambiance et les jeux de lumière, de reflets et cette fumée qui sort parfois d'on ne sait où.
L'atmosphère au sens large est une accumulation de multiples effets subtils, chacun contribuant à l'ensemble. Tous les participants au projet sont restés parfaitement conscients de l'importance de l'éclairage dramatique ou théâtral, de l'ombre, de la brume et du brouillard (tous ces ventilateurs rétro-éclairés et filtrant la lumière à travers des stores partiellement fermés) pour le look du film et le rôle qu'ils jouaient pour que le jeu reste fidèle. De nombreuses heures de travail ont été consacrées à la recherche et à l'expérimentation d'effets aussi subtils que des flaques d'eau, des gouttes de pluie et des nappes d'eau striées, en plus de la lumière volumétrique et du brouillard - et à les produire de la manière la plus économique possible. Leur contribution a été essentielle et nous avons utilisé des textures animées partout où nous pouvions nous les offrir. Dieu est dans les détails.
- Gary Freeman, Modéliste et concepteur
Syd Mead a contribué grâce à ses concepts-art à construire le Los Angeles de 2019 de Blade Runner. Pourtant l'équipe s'est vite rendu compte que quelque chose n'allait pas. Le Blade Runner à l'écran, après tout, est assez différent des dessins techniques conçus par Mead.
Les concepts de Syd Mead ont tendance à être propre, optimiste, neufs voir même surréalistes, avec beaucoup de vues panoramiques et en plein air; l'approche du film avait tendance à être plus sale, grossière, usée, claustrophobe et presque post-apocalyptique. Mais je pense que la palette de couleurs et le style de Syd ont parfaitement complété les néons criards omniprésent du film qui rebondissaient sur des surfaces réfléchissantes humides, le tout mélangé avec une touche d'influence asiatique moderne qui a aidé à définir l'environnement.
- Gary Freeman, modélisateur et artiste conceptuel
Je suis allé trouver le gars en charge de faire les décors du film - pas le designer mais l'ingénieur. Nous l'avons embauché comme consultant et lui avons dit:« Regardez, voici les dessins conceptuels du décor, disons le bureau ou la maison de Deckard, et voici ce qui est dans le film. Comment êtes-vous arrivé de çà à là ? Il a dit: 'Eh bien, nous avons examiné les concetps de Syd Mead et avons dit que nous aimerions le faire, mais nous n'avons pas un million de dollars pour construire chaque ensemble. Donc, nous sommes allés à la casse, ces salles d'accessoires, et avons attrapé quelque chose de similaire et l'avons juste boulonné, peint à la bombe et tout ce que nous avions à faire pour le rapprocher le plus possible. Avec ces révélations, je suis retourné voir nos artistes 3D et j'ai dit: "Regardez, vous avez accès à ces bibliothèques 3D avec tout ce que vous pouvez utiliser, et vous n'êtes plus autorisé à faire quoi que ce soit à partir de zéro. Vous ne pouvez que supprimer des objets et les modifier; vous pouvez les couper, les repeindre et les mettre à l'échelle, mais vous ne pouvez pas les reconstruire. En utilisant le même principe, nous avons eu un aperçu du jeu qui nous semblait très, très proche.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Partant de ce principe, il fallait reproduire les décors du jeu avec le même principe de recyclage qui a donné cette touche particulière au film
Pour éviter de disperser nos efforts, rationaliser la production et adopter une mentalité hollywoodienne, nous avons créé une bibliothèque d'actifs 3D et 2D qui ont été réaffectés tout au long de la création de nos environnements. Tout, des lampadaires avec des cônes lumineux volumétriques animés aux parapluies avec des puits de néon, faisait partie de la bibliothèque. Nous ajoutions toujours de nouveaux modèles et accrochions des éléments uniques de nos scènes qui pourraient être rapidement modifiés pour servir un nouvel objectif. Les seuls vrais défis dont je me souviens étaient le gonflement rapide des scènes ou lorsqu'un plugin causait des problèmes de rendu réseau.
- David Austin, artiste 3D
Pour donner vie à l'univers de "Blade Runner", l'équipe de Castle doit faire face à de nombreux défis en utilisant les technologies de l'époque, dont la plupart restaient à inventer. Lorsque le jeu est sorti, les cartes graphiques de l'époque pouvaient gérer, au mieux, quelques centaines de polygones par image. Même la carte graphique la plus haute gamme aurait eu un temps incalculable à reproduire un personnage, encore moins ces environnements riches avec tous leurs effets d'éclairage en 3D.
Les gens me demandent souvent pourquoi n'a t-on pas simplement utilisé la 3D ? Eh bien, c'est facile à dire maintenant, mais à l'époque, cela n'existait tout simplement pas. Vous aviez quelques polygones ombragés par des sommets mais le mappage des texels n'était tout simplement pas précis sur beaucoup de cartes. De nos jours, je ferais tout en 3D.
- David Austin, artiste 3D
Pour se faire Westwood utilise dans "Blade Runner" une technologie qu'on appelle les voxels ou plutôt une approche avancée qu'ils avaient déjà utilisé pour créer des unités dans "Command & Conquer: Tiberian Sun". Le principe est de créer une matrice de pixel en 3D, un des jeux les plus connu actuellement utilisant cette technique c'est Minecraft. Cette version améliorée, technique plutôt unique qu'ils ont appelé "animations de tranche". Les modèles 3D ont été découpés de bas en haut en quelques centaines de tranches (selon la qualité souhaitée) en croisant le modèle avec un plan horizontal et en stockant les polygones résultants.
Nous avons stocké nos données sous forme de tranches d'espace et limité la rotation à l'axe Y. Les deux étaient optimisés car chaque image d'une animation était un modèle complet, il n'était pas nécessaire de les faire pivoter. Le moteur de rendu peut les rendre sous n'importe quel angle, donc je les considère toujours comme des voxels. Plus comme voxels lite puis voxel plus. Nous avons également utilisé beaucoup de cartes de sprite avec zdepth et un hack normal rapide pour l'éclairage. Vous deviez couper les coins où vous pouviez à l'époque !
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Evidemment avec tous ces décors, ces personnages et ces musiques, Blade Runner est un jeu imposant, physiquement il tient dans un énorme boîtier comprenant pas moins de quatre CD. Avant compression, les décors avec un haut niveau de détail et les personnages complets de « Blade Runner » occupaient près de 250Go, une taille délirante pour un jeu vidéo de l'époque qu'il a fallu ramener le tout à moins de 3Go. Un challenge
Là où la technologie nous a laissé tomber, c'était dans le temps et l'énergie nécessaires pour traiter la motion-capture. Nous capturions à 60 images par seconde, et les caractères dans l'espace voxel prenaient tellement de place que nous avons dû tous les revoir en supprimant des images à la main et en utilisant des images clés. Les objets voxel d'origine pesaient environ sept mégaoctets alors que le matériel à l'époque ne pouvait gérer qu'environ 100ko. L'optimisation automatique était impossible, nous obligeant à le faire manuellement. Naturellement, le studio n'avait pas le temps nécessaire pour les quelques 20000 séquences, c'est pourquoi certains objets du jeu semblent tout simplement bizarres... Cela aurait pris juste trop de temps.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
L'oeuvre musicale créée par Vangelis pour Blade runner est rentrée dans l'histoire des B.O cultes de film. Indissociable du film, enveloppant et soulignant chaque plan, chaque scène pour former un tout. Fruit d'un travail minutieux du compositeur grec qui mélange les instruments classique et modernes - Saxophone, choeurs, piano, guitare classique, claviers et quelques autres - pour retranscrire une ambiance futuriste, sombre, parfois atmosphérique lors du survol de la ville, parfois mélancolique et tourmentée dans une partition plus jazzy dans le morceau « Blade Runner Blues » renvoyant la solitude de Deckard regardant ces photo-souvenirs sur une mélodie au piano « Memories of Green », c'est beau, c'est triste. Erotique lors de la dance dans la discothèque « Salomon Dance » ou charnelle avec le superbe « Love Theme » et son splendide solo de saxophone. Le résultat est juste fantastique.
Difficile donc d'imaginer un jeu sur l'univers de Blade Runner sans ses musiques tellement emblématiques. Westwood n'était pourtant pas autorisé à réutiliser la bande originale du film !
Il faut dire que très vite Vangelis a rejetté l'étiquette restrictive de compositeur de musique de film et refuse de produire l'album pour accompagné sa sortie en salle. Les producteurs pris de court commandent alors une adaptation orchestrale auprès du New American Orchestra, et c'est cette version qui sortira en 1982 officiellement avec le film, version rejettée par Vangelis et Ridley Scott. Il faudra attendre plus d'une décennie, en 1994 pour que Vangelis se décide enfin à sortir sa version officielle, puis un triple CD pour les 25ème ans du film incluant notamment de nouvelles musiques inspirées du film... mais malheureusement un score toujours incomplet.
Sans cette autorisation, les musiques ont donc dû être reproduites à l'oreille par Frank Klepacki. Un travail pour le moins impressionnant tant elles sont proches des scores originaux.
L'ambiance sonore a toujours été pour moi une grande partie de l'atmosphère d'un jeu. Mike Legg était l'ami du compositeur New Age David Arkenstone depuis longtemps; il a fait appel à Arkenstone pour fournir une partie de la musique originale du jeu, comme la musique New World dans les scènes de marché. Frank Klepacki était le compositeur interne; il a fait des reprises parfaites de certaines des musiques de Vangelis. Je me souviens d'une scène où McCoy sort sur son balcon pour regarder la ville; nous avons lancé l'un des musiques inspirées de Vangelis et c'était très atmosphérique.
- James McNeill, programmeur principal
Les bruitages sont eux aussi fidéle au film, on en reconnaitra d'autres issus de films de Scott comme celui du terminal de police qui correspond à celui de Mother, l'ordinateur central du Nostromo dans "Alien" ainsi que le bruit d'ouverture des sas...
La particularité du jeu est qu'il existe plusieurs fins différentes. Tout dépend de la manière dont vous vous comportez, des questions que vous posez. Le simple fait de lire un message d'interroger un suspect ou de tirer sur une silhouette qui s'enfuit, modifie le déroulement du scénario et vous envoie dans une nouvelle direction. Certaines des fins sont quelques peu aléatoires, à certains endroits pendant le jeu, un événement aura lieu. Le résultat des événements, ainsi que les événements qui se produisent, aideront à déterminer la fin que vous recevrez. Westwood concéde que pour les tests c'était un vrai cauchemar, les événements aléatoires et les 12 fins signifiaient un cycle de test fastidieux. Le service d'assurance qualité de Westwood Studios a joué au jeu plus de 2500 fois.
Louis Castle a expliqué que lors de la conception du jeu, l'idée était de semer le doute dans l'esprit du joueur : qui sont les humains, qui sont les réplicants. Cette incertitude était une des nombreuses questions soulevées par le film, et elle devient un mécanisme central du jeu. Vous avez la possibilité d'interroger des sujets avec une intensité différente. Poussez trop fort, et vous terminerez l'interrogatoire sans réponse appropriée pour savoir si vous venez de questionner un réplicant.
Et donc, la façon dont nous avons fait cela, c'est que nous l'avons décomposé et dit à chaque fois que vous jouez au jeu, vous allez avoir le même ensemble de personnages dans le jeu, mais nous allons randomiser certains de ces personnages. Parfois, ce sont des réplicants et parfois des humains. Et à cause de cela, ils laissaient différents types d'indices, et comme les indices étaient différents à chaque fois, vous deviez en fait aller chercher les indices pour essayer de déterminer si la personne était un réplicant ou non, tirer sur un humain rendra le jeu beaucoup plus difficile parce qu'à partir de là vous serez considéré comme un meurtrier.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Les nombreux choix et chemins possibles signifiaient que vous pouviez terminer le jeu dans différents endroits avec différents personnages. Mais Blade runner avait une fin secrète, comme l'a révélé Castle lors d'une interview
L'une des choses que vous pouviez faire avec Blade Runner, car c'était une simulation vivante, vous pouviez jouer à l'intégralité du jeu en sauvant tous les réplicants, arriver à la toute dernière scène, monter dans la navette, se préparer à décoller pour les sauver et les amenez dans des colonies de l'espace, sortir votre arme et les abattre tous. Et puis vous avez eu une fin très spéciale où sorti de la navette votre coéquipiere Crystal Steele s'approche et dit: 'Je ne savais pas que vous l'aviez en vous'
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
C'était l'époque des Big Box, la boite avait presque autant d'important que le jeu en lui même. Celle de "Blade Runner" est bien sûr magnifique reprenant une scène du film McCoy leve son blaster au dessus de son épaule. Le contenu ne laisse pas de place aux goodies, dommage, en fait tout a été concentré sur la grosse boite contenant les quatres CD de données et son manuel... et tant mieux pour nous.
A l'époque Virgin Interactive ne lésine pas sur les moyens pour mettre en avant le jeu de Westwood dans les magazines de l'époque. En France, le jeu a même droit à un supplément de seize pages dans le magazine Génération 4 et à un reportage de sept pages dans le concurrent PC Jeux.
La majorité de la presse internationale accueille le jeu avec beaucoup d'enthousiame, en France Joystick magazine lui octroie un excellent 90 %, l'autre référence dans la presse gamer, Génération 4 lui accorde un test sur neuf pleines pages.
Si Blade Runner a dépassé le million d'exemplaires vendus - chiffre annoncé par Louis Castle en 2006 -, Virgin Interactive avait tiré un trait sur l'idée de réaliser une suite, celle-ci n'étant à l'époque pas jugée suffisamment prometteuse commercialement par toutes les parties impliquées. En regardant factuellement les ventes et en ignorant les coûts de fabrication, et encore moins la publicité, le Blade Runner Partnership voulait une part du gâteau toujours plus grande pour sa suite. à la fin, Castle lui-même a mis fin aux négociations.
Il y a eu des «discussions approfondies» sur une suite, rendu inévitable par le succès du jeu - dépassant de trois fois celui de "The Curse Of Monkey Island" en 1997 avec un million d'exemplaires. Mais même avec ce genre de licence, le simple fait qu'il fallait quatre CD en faisait un jeu très coûteux. Et l'accord que nous avons conclu avec le Blade Runner Partnership signifiait qu'il n'était pas très rentable. Cela n'a pas fonctionné aussi bien qu'on pouvez le penser.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Malgré son côté novateur et moderne pour l'époque, son déroulement imprévisible et son succès, étrangement le jeu Blade Runner est tombé dans l'oubli... il faut dire que le jeu est sorti uniquement sur PC, pas de version Playstation, ni Saturn. Le jeu est rarement cité par la presse retrogaming (dont les journalistes ont plutôt un vécu console), ou par les gamers (rares sont ceux réussissant déjà à l'installer), ignoré par les fans du film. Mais les choses changent ! Et tant mieux
Alors Blade Runner serait-il un jeu sans héritage ? Pas du tout et bien au contraire
Pas vraiment un jeu d'aventure, pas de vraies énigmes, les choix du joueur qui influencent le déroulement de l'aventure et permettent d'accéder à plusieurs fins, des dialogues à choix multiples, bref cela annonçait les jeux type Quantic Dream mais surtout Cyberpunk 2077 et sa ville Night City, certes décrié à sa sortie (tiens ca me rappelle quelque chose) et qui s'est rattrapé depuis. Dans le style pixel-art on peut citer "Cloudpunk" ou l'arlésienne "The Last Night" de Tim Soret... qu'on attend depuis 2017 en espérant qu'il ne se perde pas dans l'oubli.
Sorti en 1997, à cette époque c'était Windows 95 et la plupart des jeux tournaient encore sous DOS. Même en possédant le jeu original, l'installer est un défit mais le lancer c'est le crash assuré avec des cinématiques FMV ne jouant que de l'audio, le jeu est quasiment injouable sur nos PC modernes. Tout cela a fait que malgré le succès du jeu, petit à petit il s'est fait oublié face à d'autres jeux ayant eux bénéficié de remasters ("Secret of Monkey Island", "Day Of Tentacle", "Les chevaliers de Baphomet"...)
Lors d'une interview en 2015 Louis Castle expliquait que le code source et les ressources du jeu furent perdus lorsque Westwood Studios avait déménagé de Las Vegas à Los Angeles en 2003, ainsi qu'un téraoctet d'autres données rendant une refonte complète quasi impossible.
Il aura fallu 8 ans pour que des passionnés décortiquent le code des quatre CD de Blade Runner en réécrivant certaines parties et l'intégre au programme ScummVM pour que le jeu puisse enfin fonctionner sur nos ordinateurs.
Le jeu n'étant pas abandonware, soit vous possédez le jeu original et dans ce cas en suivant une petite procédure d'installation, merci ScummVM, soit vous passez par la case achat sur GOG.com pour une version demat en français intégral.
Bien qu'un "Blade Runner Enhanced Edition" ait été annoncé puis finalement retardé en 2021 suite à des problèmes techniques. Restaurer près d'un téraoctet de données, que ce soit pour créer de nouveaux arrière-plans pré-calculé ou en 3D temps réel coûterait des millions de dollars. Pire encore, il faudrait pour commencer retrouver le code source, sachant que la plupart des données du jeu ayant disparu lorsque Westwood a été liquidé par EA en 2003. Perdu, pourrait-on dire, comme les larmes sous la pluie... snifff (merci merci, j'assume)
On ne pensait pas la chose faisable mais Westwood l'a fait. Véritable hommage au film mais avec une histoire originale permettant un haut degré de rejouabilité, peu de jeux ressemblent à quelque chose comme Blade Runner. C'est peut être présomptueux mais je pense qu'aucun autre studio n'aura pu produire le jeu Blade runner avec la qualité qu'on lui connait à part Westwood.
C'était très excitant de travailler sur Blade Runner! J'étais co-programmeur principal avec Mike Grayford. James McNeill a également codé le projet avec nous. Louis Castle a cette idée géniale de faire de l'écran entier un décor de film entièrement animé, et cela a fonctionné. Le plus mémorable à propos de Blade Runner était que je travaillais dans le «Bâtiment 2» à Westwood, celui où se trouvaient les départements Dramatic Assets et Audio. Nous avons pu rencontrer et passer du temps avec certains des acteurs originaux du premier film. Quand Sean Young est entré dans mon bureau un soir, en costume et maquillage «Rachael», ça m'a époustouflé.
- Mike Legg, programmeur principal Blade Runner
Tout y est ou presque, les décors superbes, les personnages, les voix et la musique... Non rien ou presque ne pourrait nous gacher notre plaisir si ce n'est cette foutue résolution qui encre malheureusement bien le jeu dans son époque, lui donnant ce côté rétro, assez imprécis pour être perceptible mais pas assez grossier pour en faire du pixel art... 4 CD et la compression incroyable opérée par l'équipe n'auront pas réussi l'impossible même Louis Castle en est conscient
Blade Runner crée une expérience émotionnelle très spécifique. Il y a en fait très peu d'action dans ce film, mais quand cela arrive, c'est violent, explosif et mortel. Je voulais faire un jeu où l'incertitude de ce qui va se passer vous fait frémir d'anticipation à chaque fois que vous cliquez sur la souris. Cela a pris plus de temps que prévu et a coûté plus cher que ce que nous voulions, et il y a eu des moments difficiles. Mais je dirais que la ténacité et le désir de bien faire les choses nous ont aidés à traverser ces moments. Le temps était notre ennemi; nous ne pouvions tout simplement pas obtenir tout ce que nous voulions.
- Louis Castle, co-fondateur Westwood
Westwood Studio fermera ses portes définitivement en 2002 en nous laissant le souvenir d'un grand studio, respectueux des joueurs qui marqua l'histoire des jeux vidéos par ses productions de qualité, aux scénarios terriblement immersifs et dans des univers aussi variés que "Dune II", La saga "Legend of Kyrandia", "Command & Conquer"...