Avec son logo affichant un renard un peu fou fou, Titus fait partie de ses sociétés emblématiques françaises qui ont fait les beaux jours des Atari ST, Amiga mais aussi des Amstrad CPC. Et c'est en 1987 avec "Crazy Cars" que la petite société se fait connaitre du grand public. Sous ces faux airs d'Out Run, cette course automobile qui vous propose de conduire entre-autre une Mercedes, une Porche, une Ferrari et une Lamborghini à travers les Etats-Unis attire rapidement l'attention de la presse et des joueurs grâce à ses graphismes plutôt réussit sur un ordinateur encore à l'époque plutôt confidentiel et intriguant, l'Amiga... mais çà c'est toute une histoire.
C'est la course la plus folle du monde : l'American Cross Country. Une course à travers les Etats-Unis réunissant les voitures les plus prestigieuses. Il vous faudra traverser six étapes : Arizona, Floride et space shuttle, Mountain, Malibu et New York avant un temps défini et à la clé une PORSCHE 911, une LAMBORGHINI Countach, et seulement les meilleurs pilotes du monde pourront espérer conduire la FERRARI GTO.
"Crazy Cars" est sorti en 1987, son succès a permis à la société française "Titus" de se faire connaitre de la presse et des joueurs, pourtant rien n'était gagné d'avance, petite société, peu d'expérience, un jeu développé sur un machine peu connu à l'époque car trop cher j'ai nommé l'Amiga, des tensions internes dans la société bref les débuts de Titus sont plutôt difficiles.
"Titus" c'est en fait l'histoire de deux fréres et de deux parcours différents mais qui se rejoignent Eric et Hervé Caen. Le plus jeune, Eric découvre la micro-informatique à l'âge de quatorze ans et attrape le virus de la programmation. Il ne se passionne pas pour l'école, et après deux tentatives infructueuses au bac il décide d'arrêter ses études pour se lancer dans la vie active. Il travaille d'abord en free lance dans plusieurs sociétés d'édition dont une d'entre elles refusa de le rémunérer, comme c'était parfois le cas avec quelques sociétés qui abusaient de la faiblesse des jeunes programmeurs ou graphistes en herbe.
En avril 1985 à l'âge de 19 ans, il crée une société de sous-traitance EH Services à Raincy, une commune de la banlieue est de Paris, avec son frère aîné, Hervé, dessinateur dans un bureau d'étude qui décide d'arrêter son travail pour se lancer dans la gestion d'entreprise. La société se charge au début de logiciels éducatifs et de jeux sur les ordinateurs domestiques français tels que le Thomson TO7 et l'Exelvision EXL 100 pour d'autres éditeurs comme Matra, Loriciel, France Image Logiciel (F.I.L), Infogrames.
Très vite l'entreprise fait appel à Jean-Charles Meyrignac et Gil Espèche, auteur le livre Oric Atmos "Vos Programmes BASIC Et Language Machine" et du jeu Caspak sur Oric 1 édité chez Loriciels. L'entreprise employait également Alain Fernandes qui avait écrit un jeu intitulé "L'Ete Sera Chaud" pour l'Oric-1.
Au tout début, Eric & Hervé ont fondé EH Services, une société de logiciels et de conseil, dans laquelle ils m'ont proposé de monter à bord. Eric et moi étions principalement en train de coder, de coder et de coder et de coder à nouveau: et bien sûr, de ramasser des filles; nous n'étions pas des geeks réguliers, mais plutôt de nouveaux enfants dans le quartier;). Tout le quartier se demandait qui étaient ces types qui travaillaient 24 heures sur 24. Hervé était l'homme d'affaires. De plus, à cette époque, j'étais déjà en contact avec NATHAN, un célèbre éditeur français. C'était une excellente occasion de conclure un accord avec eux pour la livraison d'un grand nombre de logiciels pour l'éducation nationale française: et aussi de gagner une somme raisonnable d'argent convoité dont nous avions besoin. Nous avons grandi assez vite avec l'ambition de faire nos propres logiciels, des jeux vidéo en fait.
Gil Espeche, programmeur Crazy Cars sur Amstrad CPC
Le groupe nouvellement formé crée des titres tels que "Apprends-Moi à écrire" pour l'Exelvision, et "Des Signes Dans l'Espace" pour le MSX 1 et le Philips VG 5000. Les logiciels créés sont publiés par d'autres sociétés mais plus tard dans l'année, les deux fréres décident de changer de direction.
Nous avons commencé comme EH Services, une société de services de développement, travaillant pour Activision, Infogrames, Thomson, Matra: Après environ un an, nous avons trouvé plus amusant de développer également nos propres jeux, et nous avons créé la marque Titus.
Eric Caen, co-fondateur Titus et programmeur Crazy Cars sur Amiga
Le logo affiche une mascotte joviale, un renard un peu ébouriffé qui accompagnera la société pendant 20 ans.
Concernant le nom Titus et le choix de sa macotte, Eric confie :
Titus était mon surnom à cause de la série télévisée que j'aimais tant quand j'avais trois ans. Le héros de ce spectacle était un petit lion, mais nous l'avons changé pour un renard, qui est un animal très intelligent. La couleur était facile à imprimer et accrocheuse.
Eric Caen, co-fondateur Titus et programmeur Crazy Cars sur Amiga
Et pour le design du logo c'est le graphiste, illustrateur attitré de la société Olivier Corviole, encore étudiant à l'époque qui s'en charge
Lorsque, en 1985, Eric me présente son ambitieux projet et me demande de travailler sur un logo, le cahier des charges est simple : le nom est Titus - le surnom que lui donnaient ses grands-parents quand il était petit -, symbolique du renard, un animal auquel on associe la ruse. En quelques jours, je fais une première proposition monochrome à l'encre de Chine, qu'Eric adopte immédiatement. Je suis ainsi devenu, petit à petit, le graphiste de Titus, tant au niveau des animations vidéo (très rudimentaire à l'époque) que des publications et jaquettes de conditionnement.
Olivier Corviole, graphiste et illustrateur de Crazy Cars
La mascotte aura même droit à son propre jeu "Titus The Fox" sortie en 1992, copie internationale du jeu français "Les aventures de Moktar".
Avec EH Services développant des jeux et Titus les publiant, les fréres Caens avaient un contrôle plus large sur leur production. Mais les débuts de jeune entreprise ne sont pas tout roses et la période est particulièrement difficile pour les développeurs. En effet afin de de maximiser ses revenus, l'entreprise décide que ses jeux doivent être convertis sur autant de plates-formes différentes que possible. Les développeurs ont donc dû apprendre rapidement à maitriser les différents ordinateurs sur lesquels ils étaient censés travailler, n'ayant souvent qu'un jour ou deux pour se familiariser avec l'architecture avant de produire leurs propres outils de création de jeux et de se lancer dans la tâche.
Alain Fernandes affirmera plus tard avoir programmé des jeux pour plus d'une vingtaine d'ordinateurs au cours de ses cinq années chez Titus, et bien que cela ait aidé l'entreprise à réaliser des ventes importantes, la charge de travail a inévitablement causé certaines tensions sur le personnel. Dans son blog, Jean-Charles Meyrignac y décrit son passage chez Titus et n'en garde pour ainsi dire pas un bon souvenir.
L'ambition était d'obtenir un maximum de jeux produits en peu de temps et la qualité n'était pas importante. J'ai pu convertir des jeux en un mois de travail, j'ai donc converti plus de dix jeux pour eux. Je me souviens avoir travaillé dix heures par jour et six jours par semaine pour une somme dérisoire.
Jean-Charles Meyrignac, programmeur Crazy Cars sur C64
Mais leurs efforts fonctionnent la même année sortent des titres tels que "The One", "Erebus", "Magic", "Balthazar" ou le simulateur de gestion de la vie du chien, "Maddog", tous développés par EH Services et publiés sous la bannière Titus. Titus sortira également des compilation de classique avec des clones de Space Invaders, Pac Man ou Breakout.
Les premiers jeux de Titus sont d'abord été développés sur l'Amstrad CPC puis convertit ensuite. C'était la machine la plus puissante à l'époque et Titus avait de bons programmeurs CPC. Cela avait du sens car cela aidé l'entreprise à s'implanter solidement sur le marché français où le CPC était roi. En septembre 1986, Amstrad France avait vendu plus de 200 000 CPC 6128, ce qui en faisait l'ordinateur le plus vendu du pays et les codeurs de Titus l'avez bien compris. Cela a conduit à des développements révolutionnaires, notamment l'utilisation d'écrans de surbalayage dans les jeux CPC tels que Knight Force qui utilisaient chaque pixel du moniteur.
Pour faciliter le développement, la société avait créé un émulateur de traitement - un CPC sans sa puce Z80 qui avait été ouvert et lié à un émulateur Z80. Eric Caen explique que cela en faisait une machine plus puissante et plus flexible et que cela permettait également à l'équipe de développer pour n'importe quel ordinateur basé sur le Z80, qu'il soit fabriqué par Amstrad, Sinclair ou Sega.
Dans le même temps, la société garde un oeil sur les marchés étrangers.
Depuis le début, nous voulions être mondiaux et non français ou européens.
Eric Caen, co-fondateur Titus et programmeur Crazy Cars sur Amiga
Il commence à chercher les moyens de percer les États-Unis où le fabricant américain, Commodore, fonctionnait exceptionnellement bien. En 1987, Eric décide que le prochain titre de Titus serait un jeu de conduite et il s'est mis au travail.
Titus a eu l'un des premiers Amiga de France, donc Crazy Cars a été écrit à l'origine sur l'Amiga.
Jean-Charles Meyrignac, programmeur Crazy Cars sur C64
Avec Hervé comme producteur et Olivier Corviole travaillant sur les graphismes, Eric prend une énorme dose d'inspiration dans Sega's Out Run. Il a produit un jeu au rythme rapide qui a été raisonnablement bien accueilli par les critiques d'Amiga, un des premiers jeux du genre sur cette machine plutôt récente.
Mais le pari est risqué, en 1987, l'Amiga n'est pas la machine grand publique qu'on connaitra, son prix est encore élevé ce qui en fait une machine réservé aux professionnels et un peu élitiste, difficile de connaitre son avenir, d'autres micro-ordinateur puissants ont disparus sans trouver leur publique.
L'action du premier "Crazy Cars" (il y en aura trois) prend place sur les routes des États-Unis, au volant de plusieurs bolides : Mercedes, Porsche 911, Lamborghini, Ferrari vous devrez traverser six niveaux : Arizona, Floride, Space Shuttle, Mountain, Malibu et New York pendant un temps imparti. Seules les version Amiga/ST comportent les 3 dernières étapes. Le jeu est fortement inspiré du hit d'arcade de Sega, "Out Run". Il faut dire que les conversions 8 bits mais aussi 16 bits d'U.S Gold particulièrement râtés ont laissées de nombreux joueurs sur leur faim. La route était donc toute tracée pour des clones codés par des programmeurs plus talentueux.
Au premier abord le jeu impressionne par son introduction avec une image digitalisée en 32 couleurs d'une Ferrari ainsi qu'un sample musical tout aussi percutant pour l'époque, les joueurs étaient plutôt habitués aux petits bip bip des ordinateurs 8 bits.
L'image de présentation et certains graphismes ont été digitalisés par un système mis au point par l'équipe et retravaillés sur Deluxe Paint II par Olivier Corviole qui a fait aussi l'illustration de la jaquette et qui s'occupait aussi des publicités de Titus dans la presse. La musique de présentation qui dure à peine dix secondes a été composée en studio par des musiciens professionnels.
Le timer démarre dès l'affichage de la route, aucun répis, pas de décompte 3, 2, 1, pas de jolies grid girls à la Out Run, ca rigole pas , limite austère vous êtes pas là pour fricoter çà se sent bien. L'animation est correcte et l'impression de vitesse est donnée par des rasters qui défilent sur la route. Premier problème, ces rasters sortent du cadre du jeu si bien qu'on a l'impression de jouer à une version debug d'un développeur et ils ne quitteront plus le jeu même pendant les images de changement d'étape !. Ce hangement d'étape se matérialise par le changement des décors de fonds, des bords de routes avec un griboulli de pixel censé representé je suppose de l'herbe ou des champs de fleurs rose, plus ou moins de bosses, moins de temps évidemment, plus de virages. Le jeu n'est pas excessivement difficile du moins dans sa version de 1987, la version de 1989 inclu dans les pack Starter kit Amiga 500 affiche plus de voitures à la suite, sachant que si une voiture vous percute, toutes celle qui suivent derrière feront de même ! rendant le jeu pas plus difficile mais réellement frustrant. Mais quelle idée !
Parlons un peu des bosses sur les routes, je crois, en fait je ne sais pas, comment exprimer... mais qu'est-ce qui est passé dans la tête d'Eric Caen en programmant cela ? On sait tous qu'il y a des mystères dans ce monde qui nous entoure, dans cet univers, sommes nous seuls ? est-il réellement infini ? le saura t-on un jour ? Et cette histoire de bosses qui propulse la voiture dans les airs ou plutôt qui fait léviter la voiture jusqu'à atteindre le timer du haut, semble faire partie de ces mystères dont on ne saura sans doute jamais le fin mot... et tant mieux.
Passé les premières étapes, le jeu s'avére assez vite ennuyeux et au delà de l'étape six et le changement de voiture de la Mercedes à la Porsche 911 on revient au début. Ce simple changement ne suffit pas à relancer l'envie d'en voir plus... car il n'y a rien de plus. Voir toujours les mêmes véhicules que ceux que vous pouvez conduire, pas d'autres voitures (vous êtes censer traverser un Etat, non ?), pas de camions, pas de ponts, pas de tunnels... c'est l'ennui abyssale
Malgré ses défauts le jeu s'est très bien vendu, il faut dire que les graphismes digitalisés à côté des jeux 8 bits dans la presse de l'époque ont dû fortement influencé les ventes (moi le premier).
Crazy Cars était le jeu qui nous a vraiment attiré beaucoup de ventes et d'attention. J'ai programmé la version originale en Amiga en moins de 5 mois. L'équipe c'était juste moi et Olivier Corviole en tant qu'artiste à temps partiel. Tous les sprites à l'écran ont été créés avec Deluxe Paint Amiga.
Eric Caen, co-fondateur Titus et programmeur Crazy Cars sur Amiga
Pendant le jeu, les sons Amiga comme les bruit de moteurs, les dérapages... ont été digitalisés à partir de bandes sonores enregistrées aux 24h du Mans.
Ainsi si la version originale de Crazy Cars fut programmé en C sur Amiga par Eric Caen, le jeu est converti sur Atari ST par Alain Fernandes en assembleur 68000, sur C64 par Jean-Charles Meyrignac, Eric Zmiro se charga de la version PC et concernant la superbe version Amstrad CPC c'est Gil Espeche qui est à la programmation et devant son succès il s'occupera évidemment des autres nombreuses conversions Amstrad des jeux à venir de la société (Fire & Forget, Galactic Conqueror, Crazy Cars II, Titan, Knight Force...). Cette maitrise parfaite de cette machine 8 bits si populaire en France fera que Titus prolongera ses conversions Amstrad jusqu'en 1993 ! Un record.
La presse accueillera plutôt positivement ce jeu d'une nouvelle génération d'ordinateur même si certains critiques relévent des défauts assez génants qui aurait pu être corrigé avec un peu plus de temps.
Crazy Cars sur l'Amiga a été notre premier succès, il a vendu 250 000 unités et il a été porté sur toutes les autres machines.
Eric Caen, co-fondateur Titus et programmeur Crazy Cars sur Amiga
Le succès de "Crazy Cars" permet à Titus de se consacrer entièrement à sa propre ligne de produits et de les éditer. Le jeu fut l'un des premiers jeux de l'éditeur français à s'exporter à l'international et fut inclu dans le pack logiciel « Starter Kit » de l'Amiga 500 en Europe et en Australie en 1989 et 1990. D'ailleurs la version "Crazy Cars Starter Kit" affiche un copyright EH Productions de 1989"
"Crazy Cars" a aussi été un tournant pour Titus. Les revenus générés ont permis à la société de déménager dans des locaux plus grands, et à embaucher davantage de personnes dont Jean-Michel Masson, Philippe Pamart, Eric Zmiro, Vincent Bertelot et le frère d'Alain, David Fernandes. Dans le même temps, une branche Titus est créé au Royaume-Uni avec l'aide de la société britannique Entertainment International.
D'autres succès viendront s'ajouter "Fire and Forget", "Galactic Conqueror", et surtout "Titan" qui est adapté sur un nombre important de machines (Amiga, Atari ST, ZX Spectrum, Commodore 64, CDI Phillips, Fujitsu FM Towns, Nec PC Engine, Nintendo NES, Amstrad CPC) et plus tard les excellents "Blues Brothers" et "Prehistorik".
Petite anecdote d'Alain Fernandes sur le développement de "Crazy Cars"
Le son de la voiture sur Crazy Cars Atari ST, c'est le son d'une 2CV avec le pot d'échappement percé... La voiture d'Eric Zmiro, très grand programmeur.
Alain Fernandes, programmeur Crazy Cars sur Atari ST
"Crazy Cars" fut un des premiers hit de l'Amiga et si le jeu avait de quoi étonné en 1987 grâce à ces graphismes digitalisés force est de constater que le jeu a perdu de sa superbe. Avec ses bosses sur la route qui font rebondir votre voiture dans les airs, les accrochages à chaine qui ralentissent considérablement - et de manière frustrante - votre voiture, et les longs trajets qui finalement rendent le jeu terriblement ennuyeux et c'est malheureusement les seuls souvenirs qu'on gardera du jeu.