Basée à Perpignan, Infomédia fut fondée en 1986 par Marc Fajal. Ce dernier tanne son ami Michel Centelles d'abandonner l'armée et sa carriére de pilote pour se lancer dans l'aventure. Entre temps, il faut vivre. Le magasin MicroVidéo tenu par Marc est un des rares magasins basé à Perpignan où l'on peut s'approvisionner en matériel informatique et en logiciel.
A part les grandes surfaces, il y a peu de revendeurs de matériels informatiques et de logiciels en Province. Même quand cela existe, c'est souvent impossible de trouver un logiciel annoncé dans la presse car la distribution y est souvent , pour le moins , surprenante et aléatoire y compris à Perpignan
Marc Fajal, Fondateur d'Infomédia
J'étais d'ailleurs encore à l'armée, lorsque nous avons créé Infomédia. J'ai quitté l'armée début Janvier 1988 ..et le lendemain j'étais à Infomédia. Nous étions tous deux passionnés et nous avons passé en 1985 des heures, des nuits au téléphone (lui à Perpignan, moi à Salon de Provence) pour résoudre l'énigme du Jeu EUREKA sur Commodore 64 pour gagner... rien du tout, c'était une arnaque !! Le contexte informatique de 1986 n'était pas encore vraiment en plein essor...Nous sentions malgré tout qu'il y avait quelque chose à faire.
Michel Centelles, co-gérant d'Infomédia
La société sort aussi le premier magazine sur disquette appelé FLOOPY. Quelques pubs paraissent dans les magazines les plus populaires de l'époque. Mais cela ne suffit par pour subvenir au besoin de la société, il faut donc trouver une autre idée, cela sera "Explora".
En 1986 Infomédia dépose un brevet du premier journal informatique sur disquette (une idée de Marc si je me souviens bien) développé sur C64 par Jean-Marc Cazale et Amstrad CPC par Hervé Hubert avec une collaboration importante de Jean-Marc Grignon ( dessins, design musiques)........ Demande à la commission paritaire de diffuser Floopy en kiosque à journaux.. et Là, réponse folle : « nous n'avons pas de magnétoscope pour visualiser votre cassette !!! » (c'était une disquette 5 pouces 1/4).
Michel Centelles, Co-gérant d'Infomédia
J'ai donc conçu le titre, logo et "habillage graphique" du journal en partant d'un titre plus "flashy" : FLOOPY (par analogie avec floppy disc) en gardant l'image d'un canard débonnaire et à lunettes (les 2 OO de FLOOPY).
Jean-Marc Grignon, Créateur de Rock Star
Six mois de galère puis en décembre 1987, l'idée de faire un jeu d'aventure français, sur le tout nouveau marché des ordinateurs 16 bits prend naissance, le jeu s'appellera "Explora".
Fabiem Begom, 19 ans, premier prix des beaux arts de Perpignan leur présente un scénario de Patrick De Mozas, mieu il apporte ces talents d'infographiste. Il lui faudra 6 à 8 heures de travail avec Degas Elite pour faire un dessin et il y en a 75 dans "Explora". Entre temps, Michel franchit alors le pas et se lance dans l'aventure.
La boutique l'après midi, la création-galére le soir , cela durera 6 mois le temps de la création du premier soft.
Ce fut à ce moment là, qu'après quelques réunions on décida de créer un jeu d'aventure, graphique (n'oublions pas qu'à l'époque les jeux d'aventures étaient à 90% en mode texte, et ceux qui avaient des graphismes se contentaient de vignettes et n'étaient pas du tout interactif). Le scénario a été pondu en une semaine, fabien commença à travailler sur les visuels, et hervé et moi-même nous nous sommes attaqué à la programmation du jeu : organigramme, et création de toutes les routines utiles et programmation du moteur graphique
Jean-Marc Cazalé, programmeur d'Explora
Le jeu sera accompagné par un concours dont le premier prix est un voyage en Egypte.
Pourquoi un concours ?? peut être parce que j'ai tellement passé de temps sur le jeu Euréka et que je me suis sentis si floué, raconte Michel, que je voulais un vrai concours qu'on pouvait réussir. Il faut dire que pour Eureka personne n'a résolu l'énigme pour une raison simple : elle était malhonnetement pas résoluble! logique mais... scandaleux... en tout nous avons distribué 8 prix et 3 lots de consolations. Quand on y pense, c'est sûr nous ne le referions pas. Vous comprenez, notre sigle Infomédia n'était connu de personne puisque nous n'avions encore rien produit. Tous les achats de boîtes, disquettes, papier, etc ont dû être faits cash car les banques n'étaient pas prêtes à nous avancer les fonds. Bref, il a fallu puiser dans nos réserves personnelles et au delà...
Michel Centelles, Co-gérant d'Infomédia
Le projet Explora devait donner un souffle nouveau à Infomedia, pour l'orienter davantage vers la création de jeux: on me confiait encore les musiques et parfois la jaquette.Techniques variables suivant les projets : L'intro d'Explora I échantillonnée à partir d'une bande son enregistrée sur un magnétophone 8 pistes et, plus tard les compositions de musiques sur les 4 voies de l'Amiga d'abord avec "Sonix" puis très vite sur "soundtracker" (qui était plus un séquenceur qu'un éditeur de partition); l'adaptation se faisant vers l'Atari ST en perdant une voie au passage (il fallait donc anticiper et prévoir une voix "décorative" mais pas indispensable)
Jean-Marc Grignon, Créateur de Rock Star
Concernant le sous titre "Time Run" :
Il me semble que c'est l'éditeur anglais Psygnosis qui pour le marché anglo-saxon a dû évoquer ce titre comme version anlaise...donc j'ai conçu la bande annonce musicale(jingle) avec ce titre qui a été repris en sous-titre dans la version française. Par la suite, la version anglaise est finalement sortie sous le nom Chrono quest
Jean-Marc Grignon, Créateur de Rock Star
Concernant le développement d'Explora, de la bouche de Michel Centelles :
Quand toute l'équipe a vu la première planche de Fabien, nous sommes tous restés... sans voix. Fabuleux, du jamais vu, surtout par rapport à tous les jeux existants. Jean-Marc Cazalé et Hervé Hubert élaboraient l'interface graphique inédite. Il fallait gérer des programmeurs sous pression, un graphiste qui portait un nouveau dessin tous les 2 jours, Marc qui faisait les cents pas et qui me mettait la pression, et nos rendez-vous avec le banquier qui devait nous suivre à tout prix et a qui il fallait faire comprendre l'enjeu lui qui découvrait dans son bureau un PC avec écran monochrome !! Nos voyages à Paris pour les Préviews, pour mettre la pression aux médias..
Michel Centelles, Co-gérant d'Infomédia
Toutes les revues de l'époque nous ont soutenu... évidemment, une petite structure comme la nôtre..
Marc et moi passions nos soirées à « Débugger », et le lendemain matin j'avais la lourde tâche d'annoncer à JM et Hervé tous les bugs !! Marc ne s'y risquait pas... Le scénario final n'avait plus grand chose à voir avec le 1er.
Six mois après le lancement du jeu, on évalue à 9000/10000 exemplaires vendu rien que sur Atari. Un succès considérable quand on pense au parc des Atari et au prix du jeux (300 Frs soit 45 €). Dans les pays anglophone le jeu c'est bien vendu aussi sous le nom de Chrono Quest avec des modifications plus ou moins importantes. Par exemple, certains distributeurs en regardant la boite à l'envers, la trouvaient trop ... suggestive, il a donc fallu modifier le packaging.
Dire que pendant cette période nous avons travaillé pendant 16 à 17 heures par jour n'est pas exagéré. D'un côté il y avait un investissement financier important de l'ordre de 500 000 Frs (environ 76 331€), et de l'autre un investissement de temps et de travail qu'on ne se fera jamais remboursé! Quand on a présenté le produit à Yvan Corriat, patron de 16-32, il était entiérement fini, notices et boites comprises. Il n'avait donc qu'à s'occuper de la distribution, du marketing et de la promotion du produit.... et cela a marché!
Michel Centelles, Co-gérant d'Infomédia
Etant donné le succès du premier volet, 16-32 diffusion qui distribuait notamment Lankhor et Psygnosis, commande rapidement une suite en leur apportant les moyens nécessaires qui faisait défaut à la jeune société.
Fini donc les déboires des premiers mois et place à un développement plus serein. Nettement plus facile à faire, selon Marc Fajal
Explora II est donc mis en chantier, Marc Fajal explique :
Parce que le problème du scénario était à peu près réglé, la trame du voyage dans le temps pouvait être reprise et parce que nous savions quelles seraient les étapes de la réalisation et les impératifs techniques à respecter. Et aussi parce qu'une équipe de programmeurs a pu s'y mettre à plein temps compte tenu des accords passés avec 16-32.
Marc Fajal, Fondateur d'Infomédia
Outre la simplification des actions, Explora II comporte des voix digitalisés. Cinq comédien du théâtre de la rencontre ont prêté leur voix et leur talent pour incarner 8 personnages du jeu. En tout une centaine de nouveaux écrans graphiques pour cette nouvelle aventure, toujours signé Fabiem begom. L'ergonomie a aussi était améliorée et les écrans sont plus animés. Une musique envoûtante et très épique, toujours signé JM Grignon, vous plongera directement dans l'ambiance. Le succès sera au rendez-vous puisque le jeu remportera l'As d'or 89 du meilleur jeu lors du 4ème festival international des jeux à Cannes.
Puis suivra cette même année avec autant de succès, Rock Star. Le jeu entièrement conçu par Jean Marc Grignon (scénario, graphismes, musiques ) vous projette dans la peau d'un producteur qui doit tout faire pour que son poulain devienne une star. Le jeu était accompagné d'un concours avec de nombreux lots mais aussi une cassette audio contenant des chansons spécialement concu pour le jeu , chose assez rare à l'époque. Un clip vidéo et un CD musical ont même été réalisés principalement pour la promotion du jeu.
Au début de l'été, 1988, devant le succès d'Explora je me permettais de proposer aux boss un projet de jeu tournant autour du monde du Rock et associant musiques, simulation économique et dialogues "psychologiques" avec l'idée d'offrir au client une cassette des musiques (voire un CD pour la promo). A la fin de l'été une ébauche de scénario était prête. Projet ambitieux donc...qui devait durer quelques semaines et tenir sur 2 disquettes et qui dura plus d'un an et demi et prit 4 disquettes! Les distributeurs du produit demandant toujours plus de possibilités (par exemple:à l'origine le jeu devait se jouer contre l'ordinateur mais ils demandèrent qu'on puisse se mesurer entre copains) et le scénario s'étoffant au fur et à mesure.
Jean-Marc Grignon, Créateur de Rock Star
Le va-et-vient était permanent entre les programmeurs (talentueux mais surmenés) J-Marc Cazalé sur Amiga (Programmant aussi en même temps Explora III) et Laurent Ramon sur ST. En parallèle je créais 8 ou 9 chansons (assez variées pour choisir son style et assez courtes pour ne pas rendre la phase arcade ennuyeuse) d'abord enregistrées sur 8 pistes puis retranscrites sur Amiga puis ST.
Jean-Marc Grignon, Créateur de Rock Star
La sortie d'Explora III en 1990, donnera un sentiment plus mitigé sans doute faute d'un scénario abouti et par manque de temps, fini les digitalisations vocales ou les graphismes 32 couleurs de l'Amiga, le voyage temporelle est aussi ici secondaire et moins bien mis en scènes que sur le second volet. Les graphismes toujours aussi fins, les musiques d'Evens Salies et le savoir faire d'Infomédia permettront néanmoins au jeu d'avoir une durée de vie descente.
Les graphismes et le code étant beaucoup plus importants que la zik, chaque module ne devait pas dépasser 40 ko octets sur Amiga. Ce n'était pas trop court étant donné que le jeux conduisait le héro à changer de lieu et donc de musique assez souvent. Les musiques étaient néanmoins plus longues sur Atari ST car j'utilisais des instruments en 'chip tune'. Je les avais composées avec le logiciel Hyper Sounds. Les instruments étaient plus 'noisy' que les 'sample' IFF de l'Amiga ! Ca fait 15 ans que je n'ai pas reécouté les ziks Atari ST d'Explora III. A l'époque, je rentrais les notes de chaque séquence directement à partir du clavier de l'ordinateur. Bien qu'un peu fastidieuse, cette façon de travailler m'a permis de boucler les musiques en un mois (juillet 1990). Mon matériel était insuffisant. Néanmoins j'étais créatif et pas cher !
Even Salies, Musicien Explora III
Viennent ensuite les revers pour la société car malgré l'avancement du développement du jeu "Cars" de Laurent Ramon, celui-ci ne verra jamais le jour. Une preview est même parue dans le Joystick N°3 de 1990. Le marché subit de brusques changements et une chute des ventes liée en partie au piratage, à l'arrivée de nouvelles consoles (Megadrive, Pc Engine... ) et la monté fulgurante du PC qui annonçe la fin du régne des 16 bits. Le marché Amiga/ST meurt peu à peu. L'Amiga 1200 et le Falcon, les 2 machines de luxe de Commodore et d'Atari, n'y changeront rien. Infomédia se recentre sur des développements applicatifs divers avant de fermer définitivement ces portes en 2000. Elle ne sera pas la seule à subir les lois de ce nouveau marché puisqu'en décembre 2001, Lankhor disparaitra également ainsi que Delphine Software en 2002. La fin d'une époque...
Mes remerciements à Jean-Marc Cazalé sans qui ce dossier n'aurait jamais vu le jour, Marc Fajal, Jean Marc Grignon (jamais à cours de documents et d'expliquations!!), Michel Centelles pour sa patience et sa disponibilité, Evens Salies et toute l'équipe d'Infomédia pour m'avoir aidé très largement à l'élaboration de ce dossier.