Pour sa seconde aventure, Jérôme Lange, le détective du "Manoir de Mortevielle", mène son enquête sur une île mystérieuse et paradisiaque de l'Océan Indien. Une atmosphère suave presque palpable, une enquête policière exotique servie par des graphismes somptueux et une synthèse vocale excellente, qui plus est sans carte supplémentaire. Un petit bijou signé Lankhor qui restera pour beaucoup de joueurs le summum du jeu d'aventure sur ST/Amiga.
Janvier 1954, vous recevez une lettre de Max vous demandant de le rejoindre au Japon. Vous embarquez alors sur le "Bristan" qui fait cap vers Karachi. Bob le capitaine et Anton son second seront vos seuls compagnons de croisière. Au beau milieu de l'océan indien, un cyclone vous oblige à faire halte sur l'île de Maupiti. Durant la nuit du 31, un bateau de pêche, le "Bamboo" a aussi jeté l'ancre sur l'île. A son bord, il y a le capitaine Bruce, Roy son second et Chris un marin. A 9 heures du matin, Maguy la gérante de la maison où vous séjournez vient vous voir bouleversée. Elle vous demande de retrouver une dénommée Marie qui a disparue durant la nuit. Vous n'avez que quelques heures pour mener l'enquête ...
Grand fan de jeux d'aventure, à cette époque j'ai revendu mon bon vieux Amstrad CPC 464 (le modèle lent avec les K7) pour acheter un Atari 520 STF en voyant les photos de Maupiti Island qui inondait alors les pages de la presse spécialisée. Triste réalité que celle de la modernité, mais trouver plaisir à jouer sur un CPC devenait quasi impossible quand des jeux comme Maupiti sortent.
Que d'heures, que de journées, que de nuits blanches passées à écumer les lieux et réponses des occupants de ce petit Atoll au parfum de paradis situé en Polynésie Française. Maupiti Island est un jeu culte, c'est un peu comme un bon film auquel on aime revenir de temps en temps. Pourquoi ? la nostalgie d'abord ensuite parce qu'il est bourré de plein de petites choses qui le rendent intemporel, même 30 ans après les graphismes sont toujours éblouissants c'est pour dire.
Atmosphère pesante, personnage énigmatique, cette aventure policière exotique est servie par des graphismes fins et de toute beauté, quasi photo-réaliste, où Dominique Sablons, décidément très inspiré, nous repeint cette petite île coloniale où il se dégage un parfum suranné des années 50. Les couleurs chaudes souvent dans les tons sables/orangés n'y sont certainement pas étrangères. On a d'ailleurs peine à croire qu'il n'y a finalement que 16 couleurs si bien qu'il est difficile de relier le jeu avec son prédécesseur tant les différences sont flagrantes et à tout niveau. Maupiti étant très petite, on ne dénombre qu' une trentaine de lieux mais ce n'est pas pénalisant tant ils sont variés. L'heure étant une donnée importante pour l'aventure, chaque lieu changera en fonction des horaires. La nuit étant propice à toute forme de rencontre (bonne ou mauvaise) ou de découverte. A noter que la même année, on retrouvera Dominique Sablons et ses coups de pixel fort reconnaissable dans "Disc" mais cette fois chez Loriciel, il avait déjà travaillé pour eux en 1989 sur "Tennis Cup".
Au niveau des actions et des déplacements, vous êtes totalement libre d'alleru où bon vous semble ou presque. Une chambre fermée à clé ne peut être accessible qu'à certaines heures voir il faut trouver la clé. Quand vous croisez un personnage vous pouvez engager la conversation ou même le suivre mais attention à ne pas vous faire repérer. Chose assez intéressante vous pourrez mémoriser les réponses de vos interlocuteurs et même les confondre plus tard avec d'autres dires. Il vous sera même possible de leur montrer des objets et ainsi débloquer d'autres questions.
Un scénario très bien ficelé signé Sylvian Bruchon, digne d'un roman d'Agatha Christie où vous, le Hercule Poirot de passage, allez dénouer toute cette mystérieuse affaire et découvrir ce qui est arrivé à cette pauvre Marie. Un scénario minutieux où chaque heure, lieu et événement a son importance. Il aura fallu près de 400 pages de scénario et plus de 2 ans de travail pour ce jeu. Il s'agit là certainement d'un des scénarios les plus aboutie et complexe qu'il m'ait été donné de voir sur micro. Aujourd'hui Sylvian Bruchon est un auteur à succès et écrit pour le théâtre. Quoi ?! il y a un meurtre ! mais à qui appartient cette perruque dans le poêle ? Mais chuuut !! un bon détective choisi toujours le moment opportun pour abattre ses cartes.
Côté musique et bruitage, ce n'est pas moins de 24 musiques signées André Bescond qui vous suivront dans votre enquête. L'ambiance des lieux intérieurs et extérieurs est aussi assurée par différent effets sonore : Le bruit des vagues, la coque qui craque, le marais.... soit près de 50 min de dialogues et de musiques. Le jeu est aussi bourré de petites animations en tout genre : vagues, ventilateurs, buissons qui bougent avec le vent, même les touches du piano s'enfoncent sur le rythme du boogie-woogie.
La synthèse vocale qui a été une des clés du succès du Manoir de Mortevielle a été reprise et amélioré. La technique consiste à utiliser des bibliothèques de phonèmes. Alors comment cela fonctionne-t-il ? En fait des syllabes de bases sont numérisées avec un micro et une carte de type ST Replay. Une routine fonctionnant en interruption (c'est à dire sans stopper le déroulement du jeu) permettra de faire parler l'ordinateur sans matériel supplémentaire. A la restitution un mot va être constituer de plusieurs phonèmes, enchainés les uns aux autres expliquant cette prononciation hachée. La définition d'une phrase ne prendra que la place nécessaire aux numéros des sons.
L'effet hachoir mécanique est atténué par des interphonèmes et par un algorithme chargé de lisser la courbe sonore aux intersections. Un outil made in Lankhor qui contient plus de 450 phrases rien que pour Maupiti Island. il s'agit là, à ma connaissance, et avec Le manoir de Mortevielle et Troubadour des seuls logiciels utilisant cette technique. L'avantage non négligeable c'est qu'elle permet une infinité de combinaisons tout en occupant le minimum de place, deux disquettes seulement pour le jeu alors que d'autres jeux comme Explora II à base de digitalisations sonores en occupe quatre. Néanmoins on n'atteint pas la qualité des digits vocales de ce dernier. Côté international, le jeu est sortit en Angleterre, en Allemagne avec pour chacun une adaptation de la synthèse vocale à ces pays, un travail monstrueux.
Inutile de vous dire que vous êtes face à un monument du jeu d'aventure avec lequel on prend toujours autant de plaisir à y jouer même plus de 30 ans après.
Maupiti Island est donc un jeu intemporel, exceptionnel par sa réalisation qui frise la perfection. Il s'est fait longtemps attendre certes mais je pense qu'il n'a déçu aucun joueur et en marqua plus d'un. Il a reçu maintes récompenses dont le Tilt d'or du meilleur jeu d'aventure ainsi que le Gen d'or de l'année 1990.
Une fois cette enquête finie il vous faudra rejoindre votre destination d'origine avant cette halte à Maupiti : le Japon pour ce qui aurait dû être la dernière aventure de Jérôme Lange : Sukiya. Au grand daim de nombreux joueurs ce jeu ne sortit jamais malgré les nombreuses preview parue dans la presse spécialisée. Des graphismes réalisés par Stéphane Polard visible sur son site. Il y a même eu un projet d'une version en 3D. Je garde comme toujours le meilleur pour la fin puisque ce dernier a accepté de répondre à quelques questions sur Maupiti version PC et Sukiya dans une interview (menu interview à gauche ou cf rubrique review PC ci-dessous).
Aujourd'hui Lankhor n'est plus, tout comme la majorité des sociétés françaises de développement de cette époque. Mais tout ce concentré de talent, toute cette richesse, toute cette expérience acquise par Lankhor dans le domaine de l'aventure n'a pas été perdu. Elle se retrouve dans Maupiti Island.