Premier volet de la célèbre trilogie d'Infomédia, Explora est sans doute l'un des premiers jeux d'aventure interactif français à une époque où la majorité était encore textuel et en anglais. Un grand jeu d'aventure en français, avec des graphismes de toute beauté et un voyage temporel... que demander de plus ?
Pour retrouver l'auteur du crime de votre père dont vous êtes injustement accusé, vous devez découvrir et utiliser la machine à voyager dans le temps qu'il a inventé, Explora. Mais attention celle-ci utilise des cartes magnétiques qui vous faudra collecter. Ce scénario simple est prétexte à un formidable voyage qui vous emmenera de l'ére paléolithique jusqu'au Paris des années 2125.
Explora est le premier jeu d'une jeune société perpignanaise nommée Infomédia qui cherchait à réaliser un grand projet sur les nouveaux ordinateurs 16 bits.
Fondée en 1986 et dirigée par Marc Fajal, bientôt secondé par Michel Centelles, la société embauche alors de jeunes passionnés d'informatique, les programmeurs Jean-Marc Cazalé pour la version Amiga et Hervé Hubert pour la version ST, un graphiste Fabien Begom, tout juste sortit des beaux-arts. Si au départ la société commence par éditer un petit fanzine numérique FLOOPY sur c64 puis sur ST/Amiga, très vite se fait sentir l'envie de réaliser un vrai jeu d'aventure graphique à vue subjective sur 16 bits, sans commandes textuels où l'interactivité se ferait entièrement à la souris.
Côté musique on trouve Jean-Marc Grignon qui avait déjà réalisé les graphismes de la version ST de Ripoux pour Cobra Soft, pour Explora il réalisera non seulement la musique d'intro du jeu dans sa version française mais aussi l'illustration de la boite du jeu avec le couteau et la montre brisée. Quelques temps plus tard il proposera à Infomédia un jeu de stratégie permettant de manager des stars du rock, Rockstar - I wanna be a..... dont il composera tout le design et les musiques.
Le projet Explora devait donner un souffle nouveau à Infomedia pour l'orienter davantage vers la création de jeux: on me confiait encore les musiques et parfois la jaquette. Techniques variables suivant les projets : l'intro d'Explora I échantillonnée à partir d'une bande son enregistrée sur un magnétophone 8 pistes et, plus tard les compositions de musiques sur les 4 voies de l'Amiga d'abord avec "Sonix" puis très vite sur "soundtracker" (qui était plus un séquenceur qu'un éditeur de partition); l'adaptation se faisant vers l'Atari ST en perdant une voie au passage (il fallait donc anticiper et prévoir une voix "décorative" mais pas indispensable).
Jean-Marc Grignon, Musicien et illustrateur sur Explora
Scénarisé par Patrick de Mozas, le mélange d'aventure temporelle, d'enquêtes et d'énigmes servi par des graphismes exceptionnels réalisés directement sur Amiga sous Deluxe Paint II puis convertit sur Atari ST avec Degas Elite, fera qu' Explora remporta un succès immédiat.
Nominé pour les Tilts d'or 1989 pour les meilleurs graphismes qu'il perdra à un fil face à Crash Garret d'Ere Informatique, ainsi que meilleur jeu d'aventure remporté par L'arche du Captain Blood d'Exxos. Cela ne l'empecha pas d'être remarqué par Psygnosis, qui n'avait pas encore sorti Shadow Of The Beast, pour une distribution outre-manche sous le nom de Chrono Quest avec au passage une boite redesignée par le fameux Roger Dean, un changement de standard pour les graphismes (de PAL à NTSC), une nouvelle musique signée cette fois David Whittaker, futur compositeur des superbes musiques de Shadow of the Beast ainsi qu'un nouveau tiltle screen signée T. White et R. Dean.
A sa sortie Explora fît l'unanimité tout magazine confondu et se vendit très bien, ce qui permit à Infomédia de payer ses emprunts mais aussi de se forger un nom. Dès lors un accords avec l'éditeur 16/32 diffusion fut passé ce qui aboutit à la realisation de sa suite Explora II.
Le thème du voyage temporel est un des plus prolifique dans la littérature de science-fiction mais aussi cinématographique (Retour vers le futur, La jetée, L'armée des 12 singes..) mais on retiendra particulièrement le livre de Herbert George Wells qui donnera le film des années 60 de George Pal, dont le design de la machine temporelle d'Explora ne semble pas complétement étranger.
Mais l'origine d'Explora est aussi né d'une frustration de joueur, Michel Centelles le co-gérant d'infomédia s'explique :
Marc Fajal, fondateur d'Infomédia et moi étions tous deux passionnés et nous avons passé en 1985 des heures, des nuits au téléphone (lui à Perpignan, moi à Salon de Provence) pour résoudre l'énigme du Jeu EUREKA sur Commodore 64 pour gagner... rien du tout, c'était une arnaque !!
Michel Centelles, Co-fondateur d'Infomédia
Eurêka! Gagnez 25 000 £ et sauvez le monde !
Mais revenons en arrière quel est donc ce jeu dont Michel Centelles nous parle ? En fait Eurêka est le nom d'un jeu d'aventure sortit en 1984 sur C64 et ZX spectrum. Le jeu consistait en une série d'histoire avec quelques graphiques qui se déroulaient à différentes époques. Le but était de retrouver des morceaux d'un talisman dispersé dans la préhistorique, en Rome antique, en Grande-Bretagne arthurienne, à Colditz pendant la seconde guerre mondiale et dans les Caraïbes de nos jours.
Chaque aventure était précédée d'un petit jeu d'arcade dans lequel vous pouviez augmenter votre niveau de "vigueur" essentiel pour la section suivante de l'aventure.
Edité par Domark, en collaboration avec Ian Livingstone, célèbre pour sa série des livres dont vous êtes le héros, les concepteurs choisissent de s'entourer des meilleurs créatifs de l'époque, et de sous traiter le développement à Andromeda Software, en Hongrie, où les coûts étaient alors considérablement réduits. Les économies substantives qui en furent tirées permirent de financer le concours, l'un des premiers du genre. Une énorme récompense de 25 000 £ (28 000 €) à la première personne qui résoudrait le jeu. Un indice était associé à chaque section du jeu. Une fois résolues toutes ces énigmes, elles pouvaient être assemblées pour révéler un code caché et un numéro de téléphone aboutissant à cette récompense au premier qui terminera le jeu.
Cette récompense démesurée pour l'époque explique en grande partie la difficulté extrême d' Eurêka!. Dans beaucoup de situations et en particulier lorsqu'une menace plane sur le joueur, le temps de réaction est compté, ne laissant qu'une dizaine de secondes pour réagir et taper au clavier la bonne action. En outre, il est nécessaire de se souvenir et de noter au fur et à mesure ses moindres actions passées utiles à la progression, car en cas d'échec, il faut recommencer l'aventure de zéro. Les créateurs du jeu n'ayant pas donné la possibilité d'effectuer la moindre sauvegarde ! Evidemment...
Eurêka était divisé en cinq parties indépendantes représentant 5 époques. Les 4 premières pouvaient être jouées et terminées indépendamment et dans n'importe quel ordre, en revanche la cinquième (Aventure aux Caraïbes) ne pouvait être commencée sans avoir terminée les 4 autres. Le livret qui accompagnait le jeu original était extrêmement important. Il contenait pour chaque époque un poème illustré dissimulant une énigme, ainsi que des indices pour progresser dans l'aventure mais aussi des pièges. Il incluait également un chapitre supplémentaire qui permettait, en rassemblant les solutions des énigmes précédentes de reconstituer un message secret, ainsi qu'un numéro de téléphone. Le premier joueur à appeler ce numéro et à transmettre le message (en France par télégramme) avant le 31 décembre 1985 deviendrait le grand gagnant et recevrait la récompense offerte par Domark.
Malgré son niveau de difficulté extrême, la récompense sera finalement empochée en 1985 par Matthew Woodley, un jeune anglais de quinze ans. Il appelera le numéro de téléphone trois fois, avant de trouver le courage de laisser un message sur le répondeur.
A noter que sur la version française pour Spectrum, l'aventure Colditz est malheureusement corrompue par un bug fort gênant puisque les actions "donner" et "déplacer" ne sont pas reconnues, ce qui rend le jeu impossible à terminer ! L'arnaque totale
Explora est donc né de la frustration engendrée par un jeu anglais, Eurêka et l'envie de proposer au joueur francais un jeu d énigme avec une récompense à la clé, ça ne sera pas de l'argent mais un voyage en Egypte. L'énigme se veut aussi plus abordable que ne l'était celle d'Eurêka.
Faire un jeu d'aventure avec pour thème le voyage dans le temps.. un résiduel de « EUREKA »( Mon coup de coeur). C'est un free-lance, Patrick De Mozas qui élaborait un 1er scénario, assisté de Fabien Begom. Quand toute l'équipe a vu la première planche de Fabien, nous sommes tous restés... sans voix. Fabuleux, du jamais vu, surtout par rapport à tous les jeux existants. Jean-Marc Cazalé et Hervé Hubert élaboraient l'interface graphique inédite.
Michel Centelles, Co-fondateur d'Infomédia
En interne le développement du jeu est aussi une aventure :
Il fallait gérer des programmeurs sous pression, un graphiste qui portait un nouveau dessin tous les 2 jours, Marc qui faisait les cents pas et qui me mettait la pression, et nos rendez-vous avec le banquier qui devait nous suivre à tout prix et a qui il fallait faire comprendre l'enjeu lui qui découvrait dans son bureau un PC avec écran monochrome !! Nos voyages à Paris pour les Préviews, pour mettre la pression aux médias.. Sans oublier la boutique, où je m'occupais du S.A.V des Ataris et Amigas..
Toutes les revues de l'époque nous ont soutenu... évidemment, une petite structure comme la nôtre..
Marc et moi passions nos soirées à « Débugger », et le lendemain matin j'avais la lourde tâche d'annoncer à JM et Hervé tous les bugs !! Marc ne s'y risquait pas... Le scénario final n'avait plus grand chose à voir avec le 1er.
Michel Centelles, Co-fondateur d'infomédia
Le jeu sort en mai 1988 et fait évidemment un carton. Les previews et les nombreux reportages dans les magazines ont convaincu les joueurs. Infomédia passe un accord avec l'éditeur 16/32 diffusion qui propose un partenariat avec Psygnosis pour une sortie en Angleterre sous le nom de Chrono Quest.
Nous étions une petite structure, malgré tout assez fragile comparé à TITUS, UBI, DELPHINE. Une fois Explora sorti, nous avions tellement puisés dans nos réserves personnelles et payés d'agios bancaires que nous n'avions pas de trésorerie pour nous lancer dans un EXPLORA II ! C'est grâce à Yvan CORIAT patron de 16/32 diffusion et de la boutique ELECTRON PARIS que nous avons développé le 2ième volet. C'est lui qui nous a financé le développement (EXPLORA II , ROCKSTAR, EXPLORA III) sous forme d'avance en contre partie d'une exclusivité de diffusion. C'est grâce à lui que nous avons rencontré PSYGNOSIS.
Michel Centelles, Co-fondateur d'Infomédia
Chrono Quest et même Chrono Quest II seront édité par Psygnosis mais tout ne se passe pas comme prévu
Nous avons eu des rapports conflictuels avec Psygnosis après la distribution des jeux, nous n'avions pas de contrôle sur les quantités vendues... Donc on a arrété de travailler avec eux.
Jean-Marc Cazalé, programmeur d'Explora sur Amiga
L'interface du jeu propose des interactions avec l'image gérées entièrement à la souris via des icônes d' action, une innovation à l'époque où une majorité des grands jeux d'aventure proposait encore des interfaces à commande où il fallait saisir les actions, comme dans le jeu The Pawn d'Infocom.
Bien que cette interface soit innovante et très pratique, elle n'est pas exempts de défauts imputable à la jeunesse du procédé. Le premier est le nombre d'icônes trop important, 16 au total qui finissent par nuire au jeu. Là où les autres jeux ne proposaient pas d'interactivité avec l'univers du jeu, Explora en propose trop. On se retrouve souvent à se demander pourquoi une action fonctionne plutôt qu'une autre, par exemple "utiliser briquet" ne fonctionne pas alors qu' "allumer briquet" est accepté, de même l'icône "projeter" ne m'aura servit qu'une seule fois dans le jeu. On peut aussi reprocher au jeu comme à la majorité des jeux d'aventure de l'époque, la trop grand linéarité. Les six époques doivent être traversées dans un ordre précis, chaque carte magnétique insérée est définitement perdue ce qui vous oblige, en cas d'erreur, à recommencer toute l'aventure. La première version édité du jeu était sans sauvegarde, concours oblige. On regrettera aussi le manque d'animations et de dialogues, les images, certes très belles s'enchaînent une à une un peu comme si vous feuilletiez un album photo.
Mais tout cela ne vient en rien entâcher la fascination dans cette formidable aventure qui nous était alors proposer en 1988. Et ce concours me direz vous ? Le voyage en Egypte fut évidemment gagné. La première version du jeu ne permettait pas la possibilité de sauvegarder la partie. Une fois le concours terminé, une seconde version fut proposer par Infomédia, gratuitement (en renvoyant les disquettes originales) qui permettait cette fois de sauver sa partie via l'ancien icône manger/boire et c'est cette version qui est proposée en téléchargement sur le site.
En 1988, Explora fut pour ma part LA révélation micro sur Amiga. Jamais les graphismes d'un jeu d'aventure n'avaient été aussi beaux, aussi colorés, aussi précis et surtout le scénario aussi simple d'accès car en français, là où la majorité des jeux de ce type avec des graphismes aussi fouillés de type Infocom était anglais. Le jeu n'est pas exempt de défauts multipliant les icônes superflus, mais au final l'aventure tient toujours la route et on reste émerveillé devant ces graphismes époustouflants. Un MUST !!